L’eau bleue du poème de Béatrice Marchal
L'Ombre pour berceau
Qu'y puis-je si c'est le sous-bois, ce qui respire
dans l'ombre jalouse de ses secrets
qui m'appelle et m'attire ? ... Qu'y puis-je si
la lumière la plus précieuse
a l'ombre pour berceau ?
Ce qu'écrit la poète, dans la fragilité de l'espace du poème, est une eau limpide et silencieuse, peut-être comme les larmes, peut-être comme le filet de lumière qui perce un ciel couvert. Béatrice Marchal se tient dans l'espace d'une parole hors du temps, observatrice d'une vie qui passe, est passée. L'autrefois, fil d'Ariane des propos de la poète, s'échappe d'une linéarité pesante pour offrir une évocation kaléidoscopique des souvenirs. Avec une pudeur extrême, percent des touches d'existence transfigurées par l'écriture. Est-ce que pour autant ces éléments trouvent sens ? Non, et c'est là toute la beauté de la poésie de Béatrice Marchal. Il semble que comme le calme de l'arbre dont les branches se reflètent dans le miroir d'eau d'un lac paisible, elle restitue les images d'autrefois sans laisser sa subjectivité en troubler le reflet. C'est, cela fut, ça sera peut-être, mais dans tous les cas c'est avec une telle sérénité que les instants du passé quelle qu'en soit la substance heureuse ou malheureuse sont reçus, comme la nature accueille le dénuement de l'hiver et regarde le printemps comme un trésor inestimable, qu'aucune attente ne se dessine, qu'aucun jugement ne perce, mais qu'aucune résignation non plus n'est perceptible.
Béatrice Marchal, L'Ombre pour berceau, Al Manar, Poésie, 2020, 46 pages, 16 €.
Grandir, devenir libre, grâce à la transmutation offerte par les mots, dont Béatrice Marchal convoque la puissance réflexive et illocutoire pour les mettre en demeure d'ouvrir les dimensions d'un présent apaisé, est ce qui occupe l'acte d'écrire. Car dans cette poésie écrire est un acte, est agir, est se saisir des dimensions de l'expérience pour en dévoiler la substance, et l'offrir au partage du poème.
Il n'y a pas de résignation, pas plus qu'il n'y a de désespoir, ni de joie démesurée. Je dirais alors que la sagesse est ce qui constitue la posture de la poète, qui laisse transparaitre peu à peu l'édification de son être, de la solidité, et de la grandeur de celle qu'elle devient, tout entière dans l'instant qui alors devient un présent qui absorbe toutes les temporalités.
L'Ombre pour berceau est un très beau livre. Les poèmes sont accompagnés d'aquarelles de Caroline François-Rubino. Les camaïeux des bleus dont la qualité d'impression est remarquable construisent des lieux imaginaires, des paysages indéfinis et profonds. Les mots, des poèmes entiers, même, s'immiscent dans chaque interstice de ces aplats de couleur, comme l'être visite le lieu de soi-même à travers le souvenir, avec une immense force qui alors n'est plus une lutte, mais une certitude, celle qu'exister est là, dans cet instant du regard, et dans le présent démesuré du poème.
Comme un château en ruine envahi par les herbes
où l'on flâne au premier soleil parmi les chants d'oiseaux
en quêtant, sans regret des traces d'une histoire
oubliée, d'inexplicables signes de joie.-ce qui reste à vivre quand il se fait très tard.
Béatrice Marchal, L'Ombre pour berceau, lecture à la libraire L'Autre livre, le 23 octobre 2020, vidéo de Sanda Voïca.
Inquiétude de l'autre et des mots
Béatrice Marchal, Inquiétude de soi et des autres, couverture de Sylvie Villaume, Lieux-Dits éditions, collection Cahiers du Loup bleu, 2020, 7€.
Béatrice Marchal, Inquiétude de soi et des autres, couverture de Sylvie Villaume, Lieux-Dits éditions, collection Cahiers du Loup bleu, 2020, 7€.
Bleu encore, le Loup de Sylvie Villaume qui constitue la couverture1 d'Inquiétude de l'autre et des mots, publié dans la collection Les Cahiers du Loup bleu, aux éditions Les Lieux-Dits. Une trentaine de poèmes pour un livre doux et léger, d'un belle facture, dont le titre qui pourrait être celui d'un manifeste. Titre qui énonce tout ce qui façonne le poème, tout ce qui constitue écrire, titre qui résume toute une vie de tentatives réitérées pour mener les mots à l'expression d'une fraternité aboutie c'est à dire d'une unification de tous sous la bannière de l'Humanité qui reste encore à inventer.
Le paysage une fois de plus révèle des espaces inédits de l'intimité du sujet. L'enfance, l'amour, la solitude, la mort, tout est évoqué avec une telle pudeur que le lecteur comprend à demi-mot, et ressent ce qui participe de l'existence, les déceptions et les attentes, les instants qui ponctuent une vie, restitués comme des moments assimilés à l'expérience vécue toujours avec cette conscience que les jours passés sont comme les feuilles d'automne emportées par le vent, jamais vains, jamais occultés, et constitutifs de l'épaisseur de l'instant, donc du poème : "tandis que sur l'arbre s'attardent / quelques feuilles d'un jaune de plus en plus vif / qui brillent jusque dans la nuit comme des mots / retenus à travers les mailles de l'esprit / et du cœur - les mots d'un poème en forme / d'éternité".
Vos mots sont les cellules d'une chair
qu'on ne peut toucher, capable pourtant
de susciter des frissons,
ils poussent à l'intérieur, de plus en plus lourds
jusqu'à pouvoir sortir au jour, y résonner
à la place assignée,poèmes, pourquoi craindre votre désertion ?
votre existence ne dépend, je le sais à présent,
ni du savoir ni de la force, seulement
de quelque chose de la taille d'une gaine
comme une étincelle d'amour,...
Il faut encore
qu'un météore
traverse mon ciel, qu'il creuse au fond
du bleu, un espace vidé
d'étoiles éteintes où le feu ne prend pluset que ne reste
rien qui empêche
au fond des yeux
la bonté d'exploser
contagieuse en milliers d'étincelles
Note
- La couverture de cette brochure est toujours illustrée à l'identique, d’une bande verticale de forme variable sur la première de couverture, et d’un loup, bleu, dont les traits sont dus à différents artistes, un pour chaque auteur.