Vous me dites aimer ce que j’écris.
Mais je n’écris que des mots. Vous
écrivez l’espace. Vous écrivant, je
me love dans votre espace, je fais
advenir mon écriture tâtonnante
dans votre espace pour qu’elle soit
un peu, contrant vos doutes, ce
qui caresse. Vous me demandez
de vous raconter mes rêves.
Je les ai pesés longtemps pour
savoir si, couchés sur le papier,
ils conserveraient assez de poids
de cendre pour qu’ils ne s’envolent
pas entièrement et qu’à l’endroit
où je les aurai restitués ne paraisse,
moqueuse, qu’une page blanche.
J’en ai choisi un. Je m’attends, l’écrivant,
à ce que la page redevienne blanche à tout
moment. Une nuit, dans un car, assoupie,
j’ai vu, assis à côté de moi, un homme
torse nu, des griffures sur sa peau, tenant
dans ses mains une cage de rongeur. Et
dans cette cage, il y avait une roue
qui n’en finissait pas de tourner. Et le
bruit de la roue se confondait dans
mon rêve, ou plutôt finissait par se
confondre avec le crissement d’une
plume sur un papier, ou la caresse
d’un fusain sur une toile (cette
caresse qui fait penser à la caresse
d’une main sur un corps, le corps
et la main inventant à deux une
sorte de souffle qui peut être perçu,
recueilli, maladroitement, et dont
on ne sait ensuite que faire… Que
faire, sinon l’écrire ? Mais l’écriture,
n’est-ce pas, primitivement,
ce souffle même ?