J'accueille tout le monde et toutes les interventions. Je donne toute liberté d'intervention, chacun prend en charge le temps et l'espace, qui est pourtant notre commun, notre “ communauté du soir ”. Il y a une démocratie et un partage avec le moins de conventions possibles.
Le langage poétique est déployé, je ne fais que poser un contexte pour que chacun puisse offrir les mots qu'il a choisis, chacun en est responsable. Je n'impose pas de thème ni de cadre. Qu'est-ce qui va surgir dans la spontanéité ? Qu'est-ce que chacun souhaite partager ici et maintenant, ardemment, avec nous ? Ce sont, à chaque nouvelle séance, des questions ouvertes, et qui trouvent des réponses uniques. Les mots en réponse viennent, et aussi des silences. Des silences ancestraux, comme quelqu’un les a récemment décrits au Chili, lors d’une soirée en janvier dernier. Au Chili ce genre de réunions sont beaucoup moins fréquentes et ont moins de références (peut-être cela a été oublié... ou perdu. La dictature a beaucoup détruit et effacé). Il y a eu alors beaucoup de silences. Et c’était merveilleux ! Le silence, c'est justement l’origine, le lieu de dévoilement du poème.
Quel lien faites-vous entre la poésie et la performance, ou le texte dramatique ? Entre l’écrit et l’oral ?
Quand j'écris les textes poétiques et que je les offre de manière performative, je découvre les mots. Chaque mot évoque quelque chose d’unique et de spécifique à chaque personne. Quand on dit un texte le comédien vit quelque chose et les spectateurs aussi. Dans cette présence il y a déjà nécessairement une interaction qui porte le sens des mots bien au-delà. La parole ouvre alors à la conscience collective. À l'origine la parole est prière. Une parole soufie dit que “ l'apparence est le début de la vérité ” : si ce que je dis est entièrement dit, je véhicule une vérité, la mienne, c'est une porte pour voir ce qui se passe à ce moment précis, globalement. Et on rentre dans “ la maison ”. Dans ce qui EST.
Dans les Cafés Poésie je chante souvent de chants traditionnels des diasporas africaines, qui sont des chants qui ont un sens puissant, et j’encourage, par là, à ce que d’autres le fassent aussi, à chanter (ou danser...). Parler est musique, la voix est un instrument de musique. En Inde, le premier instrument percussif est la voix. Au Café Poésie j'ouvre la porte d'une maison et chacun peut entrer pour y habiter dans le respect et dans l'écoute. Ouverture qui est celle de la poésie, un espace de paix et d'échange, l'ouverture du langage vers les multiples facettes de l’expérience.
Un spectacle de théâtre est normalement préparé. Les comédiens et les metteurs-en-scène ont besoin de travailler en amont. Il y a moins la propension à improviser. Et les gens de théâtre sont en général peu enclins à improviser. C'est beaucoup moins le cas avec les musiciens, qui sont assez aptes à faire des jams et jouer sans grandes indications préalables. Cela donne des soirées, ou même parfois des parties de concerts, très émouvants, où se crée une convivialité comme naturelle, comme lors de l'explosion du jazz moderne. Alors j’ai souhaité créer des soirées en partant de ce que l’on nomme poésie, “ l’oralité ”, posant les conditions pour accueillir et faciliter une telle spontanéité, en partant de l’écoute, du respect de l’autre, laisser venir un élan de cohésion, où vont se révéler les présences. J’ai voulu créer un contexte pour que tout le monde soit en mesure d‘offrir son individualité, son unicité, et de forger une énergie collective. Partage...
Pour les amérindiens ou autres peuples premiers, prendre ou donner la parole est un acte total. Dans une prière chaque mot est dans un élan et un engagement afin de se faire entendre par une présence invisible, et s’assurer de recevoir ce qui est demandé. J'ai voulu aussi retrouver cette conscience de la puissance de la parole, de sa nature sacrée, sans devoir donner des explications, et sans devoir en mettre plein les yeux.
Pendant les séances la parole poétique se réactualise à chaque fois. Il se crée une émulation créatrice très dynamique, c’est ainsi qu’il y a ce partage et non juste une suite d’interventions isolées qui ne se répondent pas. C’est comme une chaîne humaine où chaque main vient se poser sur la dernière, et ainsi de suite...
Le théâtre est l'art de la relation. La poésie aussi. C'est l'art de vivre. L’art porté par chacun de nous, offert en partage, pour mieux vivre, et célébrer, simplement, naturellement, la joie essentielle de vivre.