Les Cahiers de Tinbad : interview avec Guillaume Basquin

Les Cahiers de Tinbad : Une revue littéraire d'avant-garde

Les Cahiers de Tinbad sont une revue littéraire contemporaine qui s’inscrit dans la lignée des publications audacieuses et expérimentales, marquées par une exigence esthétique et intellectuelle rare. Fondée en 2015, cette revue incarne un espace où les mots explorent les limites de l'écriture, en dialogue constant avec la pensée et les formes nouvelles. Publiée semestriellement, elle se consacre à la littérature sous toutes ses formes : roman, poésie, essai, critique littéraire, et expérimentations hybrides.

La revue tire son nom de Tinbad, une référence à un personnage énigmatique d'Ulysse de James Joyce. Ce choix reflète l'esprit de la revue : explorer les territoires littéraires où la modernité rencontre la radicalité.

Un engagement pour une littérature hors-norme

Les Cahiers de Tinbad se distinguent par leur engagement envers une littérature exigeante, souvent marginalisée par les circuits éditoriaux dominants. La revue se consacre à promouvoir des œuvres singulières, qu'elles soient issues de figures reconnues ou de voix émergentes. Chaque numéro est conçu comme un véritable objet littéraire, abordant des thématiques variées avec une rigueur et une profondeur qui résonnent avec des lecteurs en quête d'une expérience littéraire différente.

Des auteurs contemporains comme Thomas A. Ravier, Pierre Guglielmina et Claude Minière y côtoient des analyses et des hommages à des figures tutélaires de la modernité littéraire, tels que Joyce, Kafka, ou Beckett. La revue explore également des pensées critiques et des œuvres venues d'horizons divers, en dialogue constant avec les questions esthétiques, philosophiques et politiques du présent.

À la tête des Cahiers de Tinbad, Guillaume Basquin incarne l’âme et l’énergie de cette aventure littéraire. Écrivain, éditeur et essayiste, il est une figure singulière du paysage littéraire contemporain. Son parcours est marqué par une volonté constante de bousculer les normes et de questionner les cadres figés de la création littéraire.

Auteur de plusieurs essais et ouvrages, Guillaume Basquin s’intéresse particulièrement aux intersections entre littérature, cinéma et pensée critique. Son style incisif et sa vision radicale transparaissent dans la direction éditoriale des Cahiers de Tinbad, où il met en avant des œuvres qui défient les conventions et invitent le lecteur à une réflexion approfondie.

Fidèle à ses principes, Basquin a su maintenir une indépendance rare dans le milieu éditorial. Il a accepté de répondre aux questions de Recours au poème

Quand et comment sont nés Les Cahiers de Tinbad, et surtout pourquoi ?
La maison d’édition Tinbad, fondée en 2015, a tout de suite été pensée avec une revue littéraire, sur le modèle de ce que je connaissais le mieux, comme lecteur, « L’Infini », à la fois collection de livres et revue littéraire dirigées par Philippe Sollers. Il m’a alors semblé évident qu’il fallait une revue à la fois pour être le laboratoire des publications futures et en même temps pour aider à l’autodéfense des publications, si nécessaire. Je savais, de la lecture continue de l’œuvre de Pierre Guyotat, que depuis les débuts de la modernité les écrivains doivent organiser leur autodéfense, qui ne va plus de soi dans « l’espace littéraire » resté conformiste (que dirait-il aujourd’hui ?). Pour te donner un exemple, un roman que Tinbad a publié à l’automne 2024, Le roman retrouvé d’Alain Santacreu, est passé largement inaperçu, alors que plusieurs écrivains ont éprouvé le besoin d’écrire dessus. Comme l’auteur est trop peu connu médiatiquement parlant, et que les textes critiques étaient trop longs (voire très longs), ces textes se sont retrouvés soient orphelins, soit n’ont pu être publiés que sur des sites confidentiels (blogs personnels, ou publics) ; la revue est là pour les rassembler, les sauver — dans le sens benjaminien du terme — en les publiant en un petit dossier d’une vingtaine de pages (parution dans le prochain numéro, le 18, en mai 2025).

Par ailleurs, je crois très fortement au hasard, et je compte bien publier la nouvelle Saison en enfer ou les Poésie 1 & 2, si j’en reçois le manuscrit !… (Rires.) Cela pour dire que la revue reçoit très régulièrement des textes libres, de personnes connues ou inconnues de nous, et que ce sont souvent les meilleurs textes d’un numéro, comme le très beau poème assez poundien de Julien Bielka dans le dernier numéro, Grotesque muscade. Les revues « littéraires » (entre guillemets) croulent sous les dossiers en béton-armé… (Pas de noms…)

Pour toi la littérature peut-elle aider à résister ? À résister à quoi ?
Gilles Deleuze disait que la philosophie devait nuire à la bêtise… eh bien, ma fois, je pense exactement la même chose du rôle de la littérature : une littérature qui ne nuirait pas à la bêtise ne serait pas exactement de la grande littérature. Fi des bons sentiments !
Dernier exemple en date : dans le dernier numéro, ayant constaté que dans l’espace médiatique français l’on disait à peu près n’importe quoi du réseau social X, j’ai décidé de publié le premier chapitre de mon futur livre dit tweet n°1. La tête des gendelettres français quand j’évoque ce sujet (quoi ? tu défends un « fasciste » (sic) ?), et alors qu’ils n’ont pas lu une ligne de mon texte, me montre que je suis vraiment sur le bon chemin… (« Tout est français, c’est-à-dite haïssable au plus haut point », Arthur Rimbaud.) Les écrivains français en sont encore à la diligence et au feuilleton dixneuviémiste, c’est effrayant ! Pire : ils baignent tellement dans une propagande permanente où tout est renversé, façon 1984 d’Orwell (« WAR IS PEACE / IGNORANCE IS STRENGHT », etc.), qu’ils prennent pour argent comptant ce qu’ils ont lu dans un média oligarchique, sans s’être documentés par eux-mêmes.
Donc oui, pour répondre à ta question, particulièrement en temps de déferlement totalitaire (terreur sanitaire, puis terreur climatique, sans parler de la terreur nucléaire qu’on nous ressort régulièrement), la littérature aide à résister. À résister à quoi ? Eh bien à la terreur, justement ! Dans les Cahiers de Tinbad, nous n’avons pas cédé un pouce de terrain à la terreur « sanitaire » (entre guillemets, puisqu’elle s’est avérée n’être que politique — en fait), publiant dès mai 2020 (n°11) un ensemble de textes de Claude Minière, Christophe Esnault, Axel Tufféry, Philippe Blondeau, Michel Weber et moi-même, contre ladite terreur. (Je note que cela a commencé à me valoir une mauvaise réputation dans des milieux bienpensants… c’est très bon signe !… (Rires.))
J’ai toujours su que seules les revues surréalistes s’étaient opposées aux abjects zoos humains à Vincennes, lors de l’Exposition coloniale de 1931. D’où l’urgence de résister à l’abjection politique, lorsqu’on a une revue. Jacques Henric, le directeur des pages littéraires d’artpress, renforce et complète cette idée : « Seules importent les revues qui mènent un combat. » Les autres…
Nous sommes à une époque où avec l’aide de moyens médiatiques inédits les gens ont accès à des narratifs fabriqués par un pouvoir qui dépasse nos frontières. Penses-tu que la littérature d’aujourd’hui prenne ceci en compte ? Est-ce qu’elle relaie ces discours ou bien s’édifie-t-elle en un lieu de résistance active ?
Je pense que la littérature prend trop peu cela en compte. Et qu’elle relaie beaucoup trop ces discours (voir l’indigence des publications dans les lieux « autorisés » (pour ne pas dire, « officiels ») pendant la crise Covid). Sur X, je suis un jeune philosophe qui se nomme Alexis Haupt. Son concept philosophique principal est que nous vivons dans un médiavers, monde entièrement fabriqué par les médias, et dans lesquels les gens vivent enchaînés à leur insu : c’est la caverne de Platon du 20e siècle ! C’est probablement le Étienne de La Boétie de notre époque. (Et d’ailleurs, si La Boétie vivait aujourd’hui, il publierait des travaux sur X, et sans y être censuré, n’en déplaise aux contempteurs aveuglés et automatisés d’Elon Musk.) Puisque Deleuze, encore lui, a dit que la philosophie est invention de concepts ; alors, avec cet Alexis Haupt, nous avons à faire à un véritable philosophe. Je renvoie nos lecteurs à ses travaux, facilement trouvables sur X ou sur les sites de vente en ligne de livres (Médiaversmédiathéisme et complosophisme (2024), Complosophisme — Éloge de la pensée critique (2023), et Discours de la servitude intellectuelle (2023), tous parus aux Éditions L’Alchimiste).
L’autre thèse majeur de ce jeune philosophe est que X, depuis que la plateforme ex-Twitter a été libérée de la censure par, justement, Elon Musk, est le plus vaste lieu de réinformation de l’Histoire humaine. D’où les torrents de haine déversés par les médias oligarchiques contre lui… puisqu’ils sentent bien qu’une grande parie de leur pouvoir (de nuisance) leur échappe. Quoi ? Vous n’avez pas entendu parler des Twitter-Files (censure des discours s’opposant à la doxa covidiste en 2020, 21 et 22, dont j’ai été une victime directe, soit dit en passant, et plusieurs fois) ? Vous vivez sûrement dans le médiavers
 Où en est la poésie, toi qui en publies beaucoup ? Que penses-tu de la désaffection des jeunes publics pour tout un pan de ce paysage poétique ?
Franchement, ce que je vois se publier comme poésie sur Facebook, y compris via le biais de photographies de livres de poésie aimés par untel ou unetelle, m’en dégoûterait plutôt qu’autre chose… Trop de décoration verticale avec retour à la ligne permanent, pour « faire poétique » (en général, sans aucune raison ou contrainte rythmique). Trop de papier-peint (ah ! cette poésie avec des « encres » de X ou Y…). La poésie doit rester rare… pas trop de sucre !… J’ai republié, dans la revue, le fameux pamphlet de Gombrowicz Contre la poésie, dont je partage les idées principales : une revue, comme un repas, doit comporte du salé et du sucré, des entrées, un plat de résistance, et un peu de sucré, en fin de repas.
Je « comprends » donc les jeunes, leur désaffection pour ce genre littéraire… Pourtant, j’en publie pas mal dans ma revue ; par exemple, dans le dernier numéro (17), il y a 4 textes de poésie (si l’on veut bien m’accorder que tweet n°1 en est) : Techniquement je suis vivant de Christophe Esnault, Grotesque muscade de Julien Bielka (op. cit.), La croissance exponentielle du solipsisme de Julien Boutreux, et tweet n°1 de moi-même. Ce qui m’a intéressé dans chacun d’entre eux, c’est qu’à chaque fois l’auteur a trouvé une forme originale pour exprimer sa pensée (et certainement pas de la poésie verticalisée à tout-va pour faire « genre »…). Les Moralistes français, Mallarmé, Lautréamont, « Tel Quel », le répertoire où s’inspirer est vaste ! Que le lecteur y aille voir par lui-même, s’il ne veut pas me croire sur parole !…
La poésie, c’est le rythme ! On ne peut pas échapper à cette exigence… Maintenant que l’alexandrin est mort, ainsi que toute versification, le poète doit inventer des formes autonomes, s’il veut trouver de l’inconnu. À vos plumes (ou claviers) !…

Enfin, pour clore ce tour d’horizon, toi qui es éditeur depuis des années, où en sont les « petites » maisons d’édition selon ton expérience ? Et la « culture » en général ?
Sur la 2e partie de ta question, je vais être totalement godardien : « La culture, c’est la règle ; l’art, c’est l’exception ; et il est de la règle de l’Europe de la culture que de vouloir empêcher toutes les exceptions d’advenir. » (De mémoire.) Difficile de dire qu’il a eu tort sur ce point capital…
Je remonte maintenant, à rebours, vers la première partie de ta question : les « petites » maisons d’édition étant toutes du domaine de l’exception, on peut dire qu’elles sont tout juste « tolérées »… survivant avec telle ou telle aide du CNL, ou d’une région… quand ce n’est pas d’une fondation, mais qu’il n’y a pas vraiment d’organisation collective ayant acquis une surface critique suffisante pour sa promotion et son autodéfense, et contrairement à ce qui se passe dans le cinéma d’Art & Essai. Il y a bien l’Association « L’autre Livre » (merci à elle d’exister) ; mais c’est nettement insuffisant.
La culture aussi est à détruire…

 

 

Le jeudi 22 février 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr ) avait la joie d'accueillir une partie de l'équipe rédactionnelle du numéro 5 de la revue Les Cahiers de Tinbad, en compagnie de Jules Vipaldo, qui venait de publier son Banquet de plafond aux éditions Tinbad. Voici la première partie de la rencontre, consacrée aux Cahiers de Tinbad, avec Christelle Mercier, Claire Fourier, Gilbert Bourson, Jacques Cauda et Claude-Raphaël Samama.

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