Les carnets d’Eucharis (portraits de poètes vol. 2)
Dernier opus annuel version papier, suite du numéro « portraits de poètes vol.1 » paru en 2016. C’est Gustave Roud qui se fait tirer le portrait avec les honneurs. La couverture nous invite à un plongeon en des eaux qu’on devine accueillantes malgré l’inconnu sous la surface. Comme toujours, en plus de poésie, il est question d’arts visuels pénétrés en mots et en images. Et cette « entrée dans l’eau » imprime tout son mouvement en portfolio par la maîtresse des lieux, Nathalie Riera. Les rédacteurs habituels, Richard Skryzak, Martine Konorski, Laurence Verrey, Alain Fabre-Catalan, Tristan Hordé, Angèle Paoli, Claude Brunet… mettent leur savoir-faire et leur inspiration au service des divers portraits, entretiens et traductions (3 poètes italiennes).
Les Carnets d'Eucharis, Portraits de
poètes vol.II / 2018: "Gustave Roud"
Un travail grâce auquel des auteurs vivants et très actifs en côtoient d’autres disparus, tels que Marina Tsvetaïeva, Armel Guerne ou Czeslaw Milosz, dont la singularité de leur écriture comble un lectorat qui subsiste – faut-il le rappeler ? « A claire-voix », quête, fondements et genèse des écrits chez Julien Bosc, Brina Svit ou Esther Tellerman (souriez, vous êtes filmés !). Chacun, à sa manière, tente de faire ressortir du poème la portée universelle de sa problématique. C’est entre pudeur et besoin de révélation que sont évoqués ces ferments nécessaires que sont traumatismes et blessures internes.
« Au pas du lavoir » propose des poèmes de gens plus ou moins connus sur la place (de Rodolphe Houllé à Hélène Sanguinetti, de Jean-Paul Lerouge à Isabelle Lévesque). Le dossier consacré à Gustave Roud foisonne. Pas moins de quatorze auteurs (dont James Sacré, Nathalie Riera, J-C. Meffre… L. Verrey et A. Fabre-Catalan, tous deux coordinateurs du dossier) pour donner envie de lire l’auteur suisse (donc à part), cerné par ses tropismes bucoliques aptes à faire rimer Amour et Nature sous une résonance parfois élégiaque. Idyllique, champêtre sont des adjectifs qui reviennent à propos de l’œuvre du poète vaudois – néo-romantique ? Traducteur de Rilke, Hölderlin, Novalis ou Trakl, son travail « s’apparente à la lente approche d’un paysage », il aura influencé Philippe Jaccottet, Anne Perrier ou Maurice Chappaz, pour ne citer que ses pays. Il faut évoquer enfin Roud photographe (avec quelques reproductions ici), amoureux aussi de la peinture ; celle de Gérard de Palézieux notamment en laquelle il se retrouvait, comme en témoigne leur échange épistolaire qui dura 25 ans jusqu’à la mort du poète en 1976. Deux autres artistes moins connues sont également mises à l’honneur. Nancy Cunard, poète d’origine anglaise, également éditrice, maîtresse d’Aragon (dur métier !), ayant fui son milieu social aussi argenté qu’étriqué à tant d’égards. Elle y répondra par son engagement militant pour la cause afro-américaine et afro-européenne discriminée comme on le sait dans le monde occidental et contre la montée des totalitarismes de l’époque. Sa Negro anthologie de 1934, au faible retentissement alors, se voit re-publiée en 2018 aux nouvelles éditions J. M. Place en fac-similé, « augmentée d’un appareil critique ».
Charlotte Salomon ferme ce trio d’honneur du numéro : « jeune peintre allemande morte en 1943 dans le chaos du nazisme », par ailleurs soumise au germe héréditaire de la folie. « Liberté de ton » et « audace ironique » caractérisent ce jeune tempérament bien trempé de son temps qui laissera à la postérité un millier de gouaches et un livre (graphique) intitulé Vie ? ou théâtre ?, publié en français aux éditions du Tripode en 2015 où l’histoire de sa vie est peinte et dépeinte. On retiendra la suite de la « conversation autour du poste de télévision » amorcée dans le numéro de 2017 entre Alain Bourges et Richard Skryzak, le second interviewant le premier, cette fois-ci sur son œuvre écrite. On disserte entre autre sur la façon dont la réalité est finalement aussi indexée sur l’imaginaire que l’inverse, prétexte à organiser sa vie tout en résistant « à la soumission ou la folie ». Au bout du compte, un numéro qui confirme son foisonnement éclairé, à aborder par où l’on veut. D’un mot une image, d’une image la sensibilité du lecteur qui s’anime et glisse entre les disciplines, pas si éloignées que ça les unes des autres.