Les Carnets du Dessert de Lune : Lune de Poche !

Les Carnets du Dessert de Lune, avec leur collection Lune de Poche, ont la très bonne idée de nous proposer des recueils d'auteurs contemporains, assez courts (de 40 à 60 pages) dont l'écriture vient percuter des représentations plus classiques de la poésie, nous disent-ils. Format qui tient dans la poche, d'où le nom de la collection, petit prix (7€) pour de jolis livrets qui donnent envie.

Thierry Pérémarti nous donne ainsi Un jour plus loin dans le jour qui se positionne volontiers dans l'abstrait : semer ou démolir / et vivre ailleurs // survivre en dedans / de tout ailleurs // d'un soi pour germer avec toutefois des bribes de réalité qui donnent de la consistance à cette plongée dans le profond : soleil, l'aube / mise en branle // feu de tout bois // se tenir à la corde / tacite pour une écriture serrée qui a émondé tout ce qui semblerait fioriture.

silence qui au mieux foudroie

d'eux, rien
il ne reste

quel séisme inverser
louanges au feu
quel espacement fuir

au crissant des heures
on attend un geste quelque chose

qui exhorte

Thierry Pérémarti, Un jour plus loin dans le jour, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2024, 60 pages, 7 €.

Le rapport au temps revient régulièrement : la minceur de la vie, au baissement du jour / qui chavire, aux aguets / de ce devenir, temps fermé qui s'ouvre, un temps qui est celui du souvenir et de la vacuité du présent car ce sont des poèmes de perte qui se retournent pudiquement sur ce qui fut je suis la lèvre / de tes premiers / baisers, disent maintenant le manque douloureux, l'ivresse meurtrie et la nécessaire écriture, rouverte la plaie / ne sachant / se taire

cherché
ta main, toute la nuit

le point d'ancrage

la vie s'écrivant
portes ouvertes
s'escrime

plus aucune rive n'atteindre

le soleil suffit ici
qui tire à vue

Une infinie tristesse chemine aux côtés des mots, cette éternité / entre nous promise // silencieuse / et vide / dans nos mains // viendra-t-elle à notre rencontre / exhumer nos caresses mais avec une belle densité qui emporte notre adhésion.

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Avec Séverine Rième, nous sommes dans un autre registre. Nos soifs disent une rencontre (l'homme des bois aux pieds couverts de sabots, le Viking... à qui ce recueil est dédicacé), disent le désir, la sensualité.

Ton urgence immobile
m'agrippe
m'allonge
m'inonde
j'abandonne
je me suspends
tu es le bois
tu es le nuage et la pluie
et tu vois... sous nos yeux
fleurissent des collines

Séverine Rième, Nos soifs, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 2024, 60 pages, 7 €.

Si le corps est affirmé — quoi de plus normal dans le champ lexical de l'amour ? — nuits sous tension / de sexes aimantés / nous buvons nos souffles / de lait d'eau d'air c'est un espace plus vaste qui est ici embrassé : le monde et ses paysages.

au cœur du pincement, de la caresse des cordes,
les espaces défilent et fondent en aplats vert vif
une cabane ici, un plan d'eau là
les touffes d'arbres flous sont des taches fuyantes
verticales au-dessus de la terre
des lumières éparses pointent sur l'étendue

les ailes d'éoliennes tournent dans la plaine
immobile
sous le ciel déchiré de traînées blanches

je n'oublie rien

Séverine Rième est chorégraphe et performeuse. On le sent dans la scansion de certains vers qui dansent :

ici
on verse l'heure
on verse l'air
on verse l'or
on verse lentement au comptoir
on verse le temps
verse le vin vient l'ivresse

Et : Collés. Vivants. Nous. / Sueurs mêlées. / Élevés / au même blé. // D'eau. De sel / notre pâte / pétrie / d'amour, de hargne, d'acide. […] Nos folles farandoles, comme des failles dans nos rires.