C’est un très vaste paysage de la poésie bre­tonne que nous dresse ce numéro de la HSE : 33 poètes aux­quels on peut ajouter sans erreur des poètes présen­tés dans les rubriques Por­teurs de feu ou Ain­si étaient les Wah insé­para­bles de ce coin de terre, comme Per­ros, Delabarre et Ken­neth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Bau­gue (quoiqu’un peu Nor­mand), ou André Prod­homme (quoique d’un peu partout). Pour cha­cun, nous avons droit à une présen­ta­tion du poète et de son œuvre, mar­que de fab­rique iné­galée de cette revue.

Rap­pelons à cette occa­sion qu’il n’existe pas d’autre revue (en ligne ou pas) ayant une con­nais­sance aus­si intime, si j’ose, d’un si grand nom­bre de poètes, en par­ti­c­uli­er ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exem­ple dans ce numéro, les présen­ta­tions de Guille­vic, Manoll, Robin, Grall, Glem­nor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méri­tent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rap­pelé, pen­chons-nous sur le dossier « Poètes bre­tons pour une baie tel­lurique » à pro­pre­ment par­ler. Il y a une évi­dente volon­té d’équilibre entre poètes con­nus, mécon­nus ou incon­nus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deux­ième moitié du XXe siè­cle. Evidem­ment, on lui reprochera — moi le pre­mier ! —  tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quin­trec, qui pour­tant pub­lia son Vil­lage allumé chez Saint Ger­main des Prés ?) Mais je con­cède que le paysage est déjà con­sid­érable et qu’il est bon qu’il y ait quelque « injus­tices » pour ranimer la lev­ée de bocks ou de bal­lons pris en com­mun. Que ressort-il du paysage dressé ? On retrou­ve une très bonne illus­tra­tion des grands courants poé­tiques bre­tons du siè­cle écoulé avec la mise en avant des très sin­gulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au con­flit qui opposa la généra­tion de Jack-Hel­li­az à celle de Grall, le pre­mier avec son cheval d’orgueil et le sec­ond avec son cheval couché. On retient égale­ment cette tresse, que je crois pro­pre à la Bre­tagne, qui rassem­ble une poésie ancrée, priv­ilé­giant plutôt une forme de dépouille­ment, une poésie « bardique », volon­tiers vin­dica­tive et pam­phlé­taire (voire guer­rière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le mer­veilleux et l’alchimique qui plonge volon­tiers dans la veine sur­réal­iste (ce qu’affectionne par­ti­c­ulière­ment notre revue). L’élément qui réu­nit ces trois courants, hormis la Bre­tagne elle-même, c’est la place incon­tourn­able du minéral (le gran­it, le mica, etc.), pour ne pas dire le tel­lurique comme le pointe si juste­ment le titre du dossier.

LES HOMMES SANS ÉPAULES N.57 : POÈTES EN BRETAGN, Col­lec­tif, avril 2024, 350 pages, 17 €.

M’a frap­pé égale­ment, à la lec­ture du dossier, la rel­a­tive étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il sem­ble bien qu’en Bre­tagne deux univers poé­tiques dis­tincts se côtoient sans se con­fon­dre, ain­si que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier per­met de mesur­er la solide et la féconde richesse du ter­rain édi­to­r­i­al bre­ton grâce au dévoue­ment de quelques maisons d’éditions (pas for­cé­ment bre­tonnes), d’associations cul­turelles et artis­tiques très actives (com­ment ne pas citer « les ren­con­tres de Max ») et de quelques fig­ures tutélaires qui ont su jouer un rôle de décou­vreur ou de rassem­bleur (Grall, Guille­vic, Bré­mont, Christien et Gen­este aujourd’hui). Pour con­clure, et picot­er d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son pas­sion­nant édi­to, je me suis demandé si ce n’était pas un arti­cle pro domo pour la poésie… normande.

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Pierrick de Chermont

Pier­rick de Cher­mont est poète et dra­maturge. Il a pub­lié de nom­breux recueils de poésie, chez Club des Poètes, la Librairie-Galerie Racine et les Edi­tions de Cor­levour, ain­si qu’une pièce de théâtre chez Eclats d’en­cre. Il organ­ise tous les ans les “Présences à Fron­te­nay”, réc­i­tal de poésie et de musique con­tem­po­raine. Enfin, il est mem­bre du comité de la revue Nunc. Pho­to Yves Faivre