« L’œuvre de Paul Pugnaud m’apparait comme une découverte du monde par la démarche poétique, phénoménologique aurait dit Bachelard… C’est une des raisons, et non la moindre, qui me font croire que, malgré la modestie dont le poète a toujours voulu s’entourer, elle sera une source de référence à laquelle les hommes de demain, à défaut des hommes d’aujourd’hui, viendront chercher une vérité essentielle dont ils ne cessent jamais d’avoir besoin. »
Je suis l’un de ces hommes de demain dont parle André Vinas en 1996 lorsqu’il rédigea cette préface au recueil Poèmes choisis paru chez Rougerie la même année.
Epelons, comme une litanie, les titres des recueils du poète méconnu Paul Pugnaud : L’ombre du feu, L’air pur, Atterrages, Espaces noyés, Minéral, Jour ressuscité, Langue de terre, Aride lumière, Equinoxes, Posidonies.
René Rougerie, qui signe la postface de ce présent recueil, affirme que ces titres « sont des témoins tout au long de la route. Ils sont le concret des choses, font que le livre le plus mince devient un objet, avec son poids, sa chaleur, fait corps avec son lecteur. » Avant de nous livrer quelques éléments biographiques du discret poète. Naissance à Banyuls au début du XXème siècle. Son goût pour Maillol. Sa vie à Paris près des surréalistes. Son installation à Belle Isle, près de Lézignan-Corbières. Son métier de vigneron. Son métier de poète. Son amour pour les bateaux à voiles.
Selon René Rougerie, Paul Pugnaud dira de la poésie qu’elle est « le moyen d’expression qu’il aime par-dessus tout car elle permet d’exprimer, avec un minimum de mots, l’inexprimable. » On y apprend, toujours sous la plume de son éditeur, que c’est certainement en se faisant violence que Pugnaud lui envoya « par la poste, sans un mot de présentation, le manuscrit de Minéral. C’était en 1968. »
Cette postface de René Rougerie est fondamentale car elle situe l’attitude d’un poète, d’un immense poète, par contraste avec le siècle vulgaire dans lequel il vécut. « Je crois que l’amitié fut une grande incitation à l’écriture », nous confie Rougerie, avant de déplorer que « les « grands » critiques n’ont pas su – ou voulu – découvrir » cette œuvre véritable.
Aucun jeu pour la notoriété, la fuyant même, jamais ne quémandant le moindre article ni ne s’abaissant à certaines démarches qui construisent facticement l’importance d’un poète sous nos latitudes spectaculaires. Et Rougerie d’appeler, comme le fit Bonnefoy, la chute des masques et la dissipation des mirages.
Qu’un écrivain publie des livres et ne réclame pas un compte-rendu élogieux de lecture à quelque journaliste ! Par nos temps ego-médiatiques, cela parait impensable. Mais Paul Pugnaud travaillait la terre du poème, sourd à la modernité affolée qui réclamait son dû de gloire à peine née que déjà démodée. Il savait que l’important était, sa vie durant, de faire lever le poème. Que cette œuvre éclose irait ou n’irait pas son cours séminal pour les vivants de ce monde, mais qu’elle était sortie de lui, le faisant ainsi se rapprocher du soleil qui appelait sa voix intérieure.
Poèmes choisis rassemble trente-cinq poèmes. Des poèmes extraits des recueils Minéral, Les espaces noyés, Long cours, Les portes défendues, Atterrages, Ombre du feu, Langue de terre, Aride lumière, Le jour ressuscité, Air pur, Posidonies, Instants sans passé. Rougerie les a choisis avec soin, convoquant un seul poème par recueil publié, et y adjoignant les poèmes inédits de cahiers datés de 1980 et 1981.
En ce choix, qui suit par recueil la chronologie des publications de Pugnaud chez Rougerie, nous voyons apparaître un fil rouge. « Les mots ont froid dans la mémoire des hommes », ce « pays dévasté » ou « Les animaux viennent flairer/Les fruits tombés et les étoiles ». Cette économie dans la précision des vers, qui ne fait pas de Pugnaud un poète abscons comme sous certain tropique désincarné, frappe ses poèmes au coin de l’esprit de la poésie – ce qui manque souvent à de nombreux poèmes contemporains. L’économie de moyens alliée à la richesse des images met l’esprit du lecteur en mouvement, et celui-ci reçoit l’image non écrite mais suggérée comme de manière chamanique. Que voyons-nous, lorsque les animaux flairent les étoiles ? Cette puissance de suggestion est rare, car Pugnaud écrit en absence, et de ce relief dessiné en creux surgit la présence purement lyrique de ce qui doit toujours demeurer caché. Seul un chaman des profondeurs peut ainsi convoquer les sortilèges du langage et en user pour la guérison du monde et non pour son aliénation, pour « répandre autour du monde/Une fraîcheur sur chaque pierre ».
La ligne rouge commune à ces poèmes, par-delà le temps, c’est le feu, c’est la pierre.
Sans songer aux menaces nous marchons
Sur la route où le jour découvre
Le cœur des roches
Cette ardente lumière
Nie la mort et détourne
Le vent qui traversait la vie.
La poésie de Paul Pugnaud est habitée par une concentration sur le noir, sur le blanc, sur le rouge. Cette concentration domine le reflux des humeurs trop humaines, des souffrances insensées. Il y a la nuit, chez Paul Pugnaud, mais une nuit phœnix.
Un chant secret célèbre
La découverte des amers
Ils révèlent un ciel
Dont les flaques ne renvoient plus l’image
Mais dirigent vers nous
L’éclat noir du soleil
Cette concentration qui confine à l’abstrait fait de sa poésie une œuvre pourtant concrètement pour aujourd’hui. Pour preuve ces mots de Paul Pugnaud lui-même, comme la meilleure invitation à fréquenter sa poésie :
« Le poème n’a pas une destination préétablie. Il est dans le monde comme un objet parmi les autres objets. Avec une différence essentielle : cet objet, parfois, irradie sa lumière sur les autres et surtout sur lui-même. Il se dénude en s’éclairant. Du moins telle est l’ambition de celui qui le créé. »
L’œuvre de Paul Pugnaud est disponible chez Rougerie.
http://www.editions-rougerie.fr/
Sur sa poésie, consulter : Paul Pugnaud par André Vinas, collection Visages de ce temps, éditions Subervie, 1982
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