Les Revues “pauvres” (1) : “Nouveaux Délits” et “Comme en poésie”
Ce n’est certainement pas à l’excellent qualité des contenus et des projets que renvoie le terme « pauvre » - mais comme pour ce qu’on nomme « l’art pauvre », je voudrais par ce titre souligner l’inventivité, les maigres ressources (les abonnements et l’investissement bénévole des revuistes), et ce génie de l’utilisation des bouts de ficelle qui permet de concocter des revues ne le cédant en rien aux plus connues, mais qui vivent à la marge, en raison de la confidentialité de leur diffusion.
« Nouveaux Délits, revue de poésie vive » en est un excellent exemple : de petit format (une feuille A4 pliée en 2), agrafée sous une couverture rousse, il offre 54 pages d’excellente poésie accompagnée d’illustrations en n&b – un illustrateur différent invité pour chaque numéro - imprimée sur papier recyclé : « Du fait maison avec les moyens et la technicienne du bord, pour le plaisir et le partage. » ainsi que le déclare la maîtresse d’œuvre, la poète Cathy Garcia, qui mène contre vents et marées cette entreprise depuis 15 ans, et à laquelle je cède la parole en recopiant l’édito du numéro 60, dans lequel on lit l’enthousiasme et les difficultés de l’entreprise :
"Eh bien, voilà un numéro qui n’a pas été simple à réaliser, il a fallu que je m’adapte aux circonstances assez pénibles et aux données qui m’étaient accessibles. Aussi Je profite de cet édito pour remercier infiniment celles et ceux d’entre vous qui ont pu répondre présent(e)s à mon appel à soutien pour le rachat d’un nouvel ordinateur, indispensable, le mien ayant pris définitivement congé après une dizaine d’années de pas trop mauvais services. Merci donc, d’ici quelque temps, une nouvelle machine devrait permettre de poursuivre l’aventure dans de bonnes, voire de meilleures conditions et aussi de stocker à l’abri, entre autres, 15 années de Nouveaux Délits !
Nouveaux Délits, numéro 60, avril 2018 , non paginé (54 p. environ), 6 euros (plus port, 1,50),
ou par abonnement via le « bulletin de complicité » (chèque de 28 euros pour 4 numéros) –
infos et adresse sur le site web
Ce n’est pas quelque chose sur quoi j’aime m’étaler mais il faut savoir peut-être que si cette revue existe, c’est par une sorte de passion entêtée de ma part, car elle est réalisée (volontairement) sans subvention et bénévolement, dans un contexte de précarité permanente, qui a d’ailleurs tendance à s’accroître d’année en année et ce numéro 60 a eu un accouchement particulièrement difficile. Cependant, je crois bien qu’au final, c’est un beau bébé ! Un peu étrange, douloureux même, mais riche de toute sa complexité humaine et de cette énergie qui passe dans les mots, qui les traverse et parfois nous transperce, cet appel d’air, ce désir indéfinissable de saisir, en nous et hors de nous par les filets de la parole, ce qui le plus souvent demeure insaisissable."
Feuilletons ensemble ce numéro fatidique : après l’édito que nous venons de citer in extenso, le sommaire : 7 poètes pour cette livraison, dans une partie intitulée « Délit de poésie » puis deux livres présentés dans la rubrique « Résonnance ». Suit la mention intriguante « Délits d’’in)citations percent la brume des coins de page » : en effet, la revue est ponctuée de citations plus ou moins longues, dans l’angle des pages non numérotées : on trouve dans ce numéro un proverbe russe, Victor Hugo, Daniel Biga, un haïku de Sôseki… ou encore – en écho au poème de Valère Kaletka, « Le lieu », cette phrase de l’humoriste Pierre Doris : « C’est très beau un arbre qui pousse dans un cimetière. On dirait un cercueil qui pousse ». Car l’entreprise de Cathy Garcia, on le comprend vite, n’est pas dépourvue de cette distance souriante, qui lui a fait choisir le titre provocant de cette publication, liée à l’association et aux éditions Nouveaux délits, à Saint-Cirq Lapopie – rien de moins : revue pauvre, peut-être, mais au moins sous le regard tutélaire d’André Breton, qui y a séjourné après y avoir acheté une maison en 1950. D’ailleurs, si elle invite le lecteur à s’abonner, elle le fait en dernière page avec un « bulletin de complicité » qui vous propose de « blanchir (votre) argent en envoyant (votre) chèque à l’association – et comment résister à cet appel à soutien, lorsqu’on a pu constater la variété des textes publiés ? Dans cette livraison, outre Valère Kaletka, Pierre Rosin, dont on suit le parcours de peintre-poète dans Recours au Poème également, et dont je relève le post-scriptum à l’un de ses textes : « PS : nous pourrons garder les poètes et les peintres à condition qu’ils sachent jardiner ». Puis Daniel Birnbaum, Joseph Pommier, Florent Chamard, dont on peut écouter deux textes lus par Cathy Garcia sur la chaîne youtube « donner de la voix »
Puis Vincent Duhamel avec quelques proses poétiques, et Antonella Eye Porcelluzzi, dont la biographie succinte nous amène sur google à regarder les films ou écouter à travers la voix de Cathy sur la chaîne associée à la revue.
Vous ne connaissez pas la plupart de ces noms ? C’est qu’ils ont surtout publié en revue, et que les éditeurs ne les ont pas encore rencontrés, mais parcourez donc, sur le site, la liste des poètes publiés par la courageuse revue Nouveaux Délits – et : bonne découvertes !
L’indescriptible désordre de mes rayons ne me permet pas de vous présenter le dernier numéro de Comme en Poésie, revue arrivée à l’âge respectable de 74 numéros (soit 18 ans) – glissé sous une pile, d’où il sautera comme un diable quand je n’en aurai plus besoin, prêté et non revenu… qui sait le destin des livres, revues et brochures qu’on ne sait pas ranger comme dans les bibliothèques dont on rêve et qu’on voit derrière les écrivains qu’on admire… Vous aurez donc la possibilité de découvrir le numéro de mars 2018 en attendant que l’autre pointe le bout de sa couverture pour me narguer – mais chut !
Jean-Pierre Lesieur, seul maître à bord, enjoint ses lecteurs et potentiels abonnés à avoir de l’humour car « ça ne coûte rien » . Voici comment il présente sa revue en troisième de couverture (car aucun espace n’est laissé vierge dans cette publication abondante, nourrissante – enfin, pour le lecteur, pas pour le poète ni pour le revuiste) :
Comme en poésie, n. 73, trimestriel, 80 p.
(revue seule, 4 euros, abonnement 1 an, 4 numéros, 15 euros –
730 avenue Brémontier, 40150 Hossegor –
informations sur le site de la revue « sur papier et par internet »
« La revue est entièrement pensée, fabriquée, envoyée, par Jean-Pierre Lesieur. Vous ne la trouverez nulle part ailleurs que par abonnement. Ne la cherchez pas dans les librairies ni dans les grandes surfaces. Si vous y voyez Lesieur ce n’est pas la revue, c’est une bouteille d’huile. »
Introuvable, c’est vrai : je l’ai découverte jadis, sur le marché de la poésie Saint-Sulpice, à l’époque encore bénie où son éditeur, pauvre, était invité à partager un coin de stand dans l’angle des revues… Ce n’est plus le cas, et c’est bien dommage, car cette publication mérite d’être lue, non seulement parce qu’elle permet à des poètes de faire leurs premières armes, mais aussi parce qu’elle offre de beaux textes, de belles illustrations, et de belles signatures. Car Jean-Pierre Lesieur l’annonce : «( on ne fera) pas d'exclusive poétique, mais recherchera une qualité d'écriture et d'originalité en faisant la chasse aux clichés, redites, traces informelles, doublons, minauderies, copies, piratage..“
Mais feuilletons ensemble ce numéro auquel ont participé pas moins de 30 poètes, parmi lesquels Gérard Mottet, Claude Albarède, Werner Lambersy… Feuilletons, avec quelque précaution : reliés sous sa couverture cartonnée thermocollée, on craint que les pages ne s’envolent avec les poèmes – mais non : l’artisan a bien tout soudé, et dans l’ensemble, ça résiste à plusieurs manipulations. Comme la est aussi ouverte à différentes formes d'écritures, de dessins, de photos, de chanson, de performances, de mail art, de petites annonces humoristiques, de contes, de nouvelles, etc., Outre les poèmes, j’y découvre des illustrations, en noir et blanc et en couleur (4 pleines pages, dont deux consacrées aux photos d’Eliane Morin, illustrant le poème d’Evelyne Morin sur le « Chemin des Dames, 1917-2017) – et une couverture toujours magnifiquement illustrée d’un collage, d’une photo…), et une carte illustrée dont on comprend l’usage dans la rubrique du même nom : les lecteurs sont invités à légender les saynettes proposées. Dans le numéro 73, au centre, une dame en sous-vêtement 1900 parle à un monsieur en costume de tweed qui semble bien furieux, tandis qu’un élégant à monocle renfile sa veste sur sa droite. Les deux pages nous proposent les légendes envoyées à propos de l’illustration du numéro précédent : une dame assise sur un sofa, dont on ne voit que l’énorme chignon démodé s’adresse à un homme aux cheveux longs assis à ses pieds … un peu George Sand et Musset… Parmi les légendes, je relève celle de Claude Albarède : « Poète ami des mots, des vers, des haïkus / reprends ta plume en mai, reste pas sur le cul / et quand tu seras las d’avoir poétisé / laisse tomber ton luth, et viens donc me baiser ! »
Aux poèmes s’ajoute une rubrique « pot-au-feu » dont le titre indique à tout cuisinier digne de ce nom qu’elle se compose d’un peu de tout, dans un esprit popote et bon enfant. Ici, des réflexions sur la poésie, les aléas des réabonnements, des aphorismes : « Il est mort des suites d’une longue maladie qui l’emporta tout de suite ».
Le tout ne serait pas complet sans les lectures Jean Chatard, et la « cité critique J.P.L » petit parcours personnel qui présente des livres et ici également une série de petites revues dont on se dit qu’il serait temps de les lire aussi : Le Pot à mots, Friches, Spered Gouez…
Et pourquoi ne pas commencer par vous abonner à Comme en poésie ? Vous faites une très bonne affaire, et une bonne action – et à défaut du numéro 74, dont j’attends le retour, pour vous donner une idée de ce qui vous attend, voici son sommaire :
Page 1 : UN NOUVEL ÂGE par jpl
Page 2/7 : Antoine JANOT
Page 8/17 : Faustin SULLIVAN
Page 18/19 : Silvaine ARABO
Page 20 : Gérard LE GOUIC
Page 21 : Ferruccio BRUGNARO
Page 22/26 : Jacques LALLIÈ
Page 27 : Guy CHATY
Page 28/30 : Claude ALBARÉDE
Page 31/33 : Colette DAVILE-ESTINÉS
Page 34 : Pierre BORGHERO
Page 35 : Ludovic CHAPTAL
Page 36/37 : Sylvain FREZZATO
Page 38 : Basile ROUCHIN
Page 39 : Èvelyne CHARASSE
Page 40/41 : Georges CATHALO
Page 42/43 : Jean CHATARD
Page 44/45 : Patrick PICORNOT
Page 46/47 : Aumane PLACIDE
Page 48/49 : Werner LAMBERSY
Page 50/53 : Cartes lègendées
Page 54/55 : Bastien MARIN
Page 56 : Françoise GEIER
Page 57 : Èmilie NOTARD
Page 58/59 : ALAIN JEAN MACÈ
Page 60/61 : Bernard PICAVET
Page 62/63 : Mireille PODCHLEBNIK
Page 64/65: Vincent CADET
Page 66/67 : Dominique MARBEAU
Page 68/71 : Jean CHATARD
Page 72 : Claude ALBARÉDE
Page 73 : POT AU FEU
Page 74/76 : LA CITÉ CRITIQUE
Page 77 dénis parmain
Page 78 : Jacques BONNEFON
Page 79 : Luc ALDRIC
Page 80 : ADRESSES REVUES