Lorsqu’il se choisit un nouveau nom ‑César Moro- au hasard d’une lecture de Ramón Gómez de la Serna en 1923, Alfredo Quíspez Asín n’aurait pu se douter qu’il se révélerait être parfaitement à l’image de sa poésie alors en germe. On y entend tout à la fois l’« art » et les « mots », les deux moyens d’expression du poète ; la « mort » et l’« amor », deux thématiques omniprésentes dans son œuvre ; mais aussi une identité oxymorique, celle d’un « (Empereur) César maure », expression qui résume à elle seule le paradoxe de la réception de l’œuvre de César Moro : par sa condition de peintre et poète surréaliste, homosexuel et bilingue d’adoption, celui-ci a longtemps occupé une place marginale au regard de l’histoire littéraire latino-américaine ; pourtant, s’il est encore trop peu publié, l’importance de son œuvre est largement reconnue parmi les poètes latino-américains, et le centenaire de sa naissance, célébré en 2003, a suscité un regain d’intérêt certain pour ce poète singulier.
D’abord connu à Lima, sa ville natale, comme peintre et dessinateur, c’est pour exposer ses œuvres qu’il part vivre à Paris en 1925. Rapidement, il y fait la connaissance du groupe surréaliste, avec lequel il se lie d’amitié et qui l’initie au surréalisme. Cette rencontre le marque profondément : dès lors, non seulement César Moro devient poète à part entière, mais il adopte, en même temps que le médium artistique de prédilection des surréalistes, leur langue d’expression et d’écriture ; le peintre péruvien devient poète en français. Ses poèmes parisiens seront publiés à titre posthume dans Ces Poèmes… et Couleur de bas-rêves tête de nègre. Mais le plus étonnant est que, à quelques exceptions près, César Moro continuera jusqu’à sa mort à écrire tous ses poèmes en français. A côté de cette constante d’écriture, l’évolution du surréalisme du poète est clairement perceptible et permet de distinguer différentes étapes dans la création d’une œuvre de plus en plus originale.
Les premiers poèmes moréens en français font honneur au surréalisme en en adoptant certains traits d’écriture comme l’humour noir, l’anticléricalisme ou le coq-à‑l’âne, et en rendant hommage à ses amis poètes, à l’instar de cet « Hommage à André Breton » :
[…]
La prière des punaises
Et encore les aumôniers à tête blafarde
De compteurs et de caisse d’épargne
Les vertus domestiques l’économie
Le bon sens la mesure l’usure des vêtements
Nos vêtements du dimanche dévorés par les mites
Prenons-en à notre aise je veux bien encore de cela
Celui-là me plaît moins
Le joli pays la grasse campagne et les grasses matinées
Soyons polis nom de Dieu le rôti brûle
La tragédie du gigot trop cuit le Louvre
[…][1]
L’adoption du surréalisme et l’hommage poétique au pair passent ici par l’imitation ou, tout au moins, l’emprunt à ce qui a pu constituer l’esprit révolutionnaire et iconoclaste des débuts du mouvement. A l’irrévérence à l’égard de la religion s’ajoute le détournement humoristique d’expressions figées et de lieux communs, visant à transgresser l’ordre établi et à déjouer la banalité du langage quotidien : la « rase campagne », par sa proximité avec la « grasse matinée », devient la « grasse campagne » ; au vers suivant, ce n’est plus le torchon qui brûle mais le « rôti ». L’humour provient alors du contraste saisissant et hyperbolique entre la force dramatique du mot « tragédie » et le caractère anodin du « gigot trop cuit ». La provocation surréaliste vise ici tout autant les conventions poétiques que les fondements de la société de l’époque : la religion, les préoccupations matérialistes et « petites bourgeoises », le goût de la morale et de l’ordre : « Les vertus domestiques l’économie / Le bon sens la mesure l’usure des vêtements ». La critique de l’ordre social s’étend au langage quotidien lui-même, également porteur de limitations ; ainsi le poème se rapproche-t-il par moments du poème-conversation d’Apollinaire ou du collage verbal, dans des vers qui font penser à des bribes décousues d’une conversation banale : « Prenons-en à notre aise je veux bien encore de cela / Celui-là me plaît moins ». L’hommage au poète admiré se fait alors manifeste en faveur de la liberté et de la valeur transgressive de l’écriture poétique.
La production artistique et poétique de César Moro, parfois incluse dans les publications du groupe surréaliste[2], se doublera, à son retour en Amérique Latine, d’un travail de diffusion des œuvres du mouvement. A Lima d’abord, où il organise, en mai 1935, la première exposition internationale du surréalisme sur le continent américain ; à Mexico ensuite, où il coordonne, aux côtés de Wolfgang Paalen et d’André Breton, l’importante exposition internationale du surréalisme de janvier-février 1940. A cela s’ajoutent les nombreuses traductions de poèmes surréalistes (Breton, Eluard, Péret, Picasso, Dalí, etc.) et les articles critiques qu’il publie dans plusieurs revues liméniennes et mexicaines entre 1938 et 1949.
Ces années correspondent au séjour que César Moro effectue à Mexico (1938–1948), dix années marquées par l’intense passion amoureuse que fait naître en lui un jeune homme sur le point d’entrer au collège militaire de Tacuba, un quartier de la capitale mexicaine. Antonio lui inspire la majeure partie des poèmes de La tortuga ecuestre (1938–1939)[3], le seul recueil moréen en espagnol, ainsi que ses Cartas ; comme si l’amour passionnel ne pouvait se dire que dans la langue maternelle, dans un flot d’images surréalistes où baignent le je poétique et son amant, entourés par une faune et une flore aquatiques proliférant dans le verset :
Sobre altas mareas tu frente y más lejos tu frente y la luna es tu frente y un barco sobre el mar y las adorables tortugas como soles poblando el mar y las algas nómadas y las que fijas soportan el oleaje y el galope de nubes persecutorias el ruido de las conchas las lágrimas eternas de los cocodrilos el paso de las ballenas la creciente del Nilo el polvo faraónico la acumulación de datos para calcular la velocidad del crecimiento de las uñas en los tigres jóvenes la preñez de la hembra del tigre el retozo de albor de los aligatores el veneno en copa de plata las primeras huellas humanas sobre el mundo tu rostro tu rostro tu rostro[4]
Les mots s’accumulent et disent eux-mêmes le mouvement et l’expansion (« poblando », « nómadas », « oleaje », « paso », « creciente », « acumulación », « crecimiento »), encadrés par la triple répétition du visage de l’amant obsédant (« tu frente », « tu rostro »), faisant du verset la forme idoine à l’expression du trop-plein du désir.
Dans le reste de sa production poétique mexicaine (Le château de grisou, Lettre d’amour, Pierre des soleils), le français s’impose de nouveau, en même temps que l’écriture s’apaise. Y compris lorsque le poème dit la passion, les vers sont mesurés, voire dépouillés ; le feu du désir a laissé place à l’absence de l’amant qui se concrétise sous la forme de l’étoile, elle aussi proliférante, qui envahit les nuits et les jours du sujet lyrique :
Un divin visage dur
Est fixé à hauteur invariable
Dans le tonnerre ou dans la pluie
L’étoile arborescente
Les vêtements changeants du temps
Soumis à l’avenir de l’amour[5]
Plutôt que d’exploser dans une accumulation d’images paroxystiques, le sentiment amoureux se retrouve comme condensé dans des images qui, comme la métaphore du « château de grisou » dans le recueil éponyme, disent l’imminence de l’explosion provoquée par la rencontre érotique ou, au contraire, le calme que laisse derrière lui l’ouragan :
Il ne faudrait qu’un souffle
Pour que l’incendie reprenne
Et que le beau cataclysme soit
La charmante étendue
Où seule se joue en dépit de tout
Ta présence essentielle [6]
Dans ce contexte de manque et d’absence, le retour du poète à Lima en 1948 signifie l’adieu définitif à l’amant divinisé (« Antonio es Dios… »[7]). Cette distance se matérialise dans l’écriture moréenne à partir d’Amour à mort (1949–1950). Comme l’indique d’emblée le titre du recueil, l’amour infini, destiné à durer « jusqu’à la mort », est désormais inséparable de l’angoisse du sujet poétique qui se perçoit vieillissant. L’amour est intrinsèquement et étroitement lié à la mort, elle-même conséquence de la perte et du passage du temps, comme dans l’épigraphe qui ouvre l’œuvre et fait fusionner l’amour et le verbe « mourir » :
A mourir debout
Il est dit qu’on gagne
Ce coin d’herbes folles
Où commence la solitude[8]
Dans le titre, déjà, l’amor était audible dans l’« à mort », comme pour suggérer à la fois l’équivalence d’Eros et de Thanatos et l’excès de cet amour dupliqué et omniprésent, partout sous-jacent.
De la même façon que le je semble se replier sur lui-même dans son sentiment de solitude, le poème met de plus en plus à distance son lecteur potentiel par l’aspect souvent cryptique de son écriture. Pourtant, il est toujours question de désir, mais d’un désir désormais démultiplié, cristallisé dans différentes figures masculines admirées sur la plage :
Le jeu prédestiné
Dioscures au rivage
Âgés d’ailes curieux du flot
Le rire dessalé
Si libre humecte le bec
Ce bel oiseau ce pélican de rêve
Au ciel de brume
Pur bleu plus que l’air
Entre les conques
Pour ces pianos
Couverts d’écume
De doigts furtifs
Partant de l’œil aux arpèges lents
De fil qui se balance
Au gré de la mer aux poissons frits
Ô ciel de terre ô mer agile
Encerclée de corps
Ô légitime soif pavée de courbes
Timide si la peau qui brille
Perle en toute délectation
Sous la fumée vibratoire de la chaleur des étoiles
Invisibles[9]
Dans la seconde section d’Amour à mort intitulée « Dioscuromachie », la figure récurrente des dioscures sert à désigner les objets du regard et du désir du je poétique : deux jeunes joueurs de ballon « inaccessibles » sur la plage d’Agua Dulce, à Lima.[10] Comme Antonio dans La tortuga ecuestre ou les Cartas, les hommes désirés sont divinisés, les dioscures n’étant autres que Castor et Pollux, les demi-dieux jumeaux nés de l’union de Zeus et de Léda.
De fait, ces êtres apparaissent comme de purs corps-objets du désir et de la pulsion scopique du sujet, qui n’aboutit pas à l’échange amoureux mais sollicite et fait se mêler les cinq sens dans des images synesthésiques : « l’œil aux arpèges lents », « soif pavée de courbes ». La sensualité est à son comble dans la vision de ces corps humides et brillants qui invitent au contact : « ces pianos / Couverts d’écume / De doigts furtifs », « Timide si la peau qui brille / Perle en toute délectation ». De même que se côtoient les quatre éléments (ciel, terre, mer, étoiles), les cinq sens sont pleinement en éveil.
A cette sensualité du texte poétique contribue également la dimension sonore de l’écriture où le poète se plaît à créer des répétitions et des variations syllabiques : « rivage / Agés », « « humecte le bec / Ce bel ». Si l’usage fait des jeux de sonorités est ici très mesuré, leur multiplication est une tentation qui revient à toutes les époques de la création moréenne. Le sens semble alors céder face à la prolifération des jeux sonores, parfois poussés à leur paroxysme ; tantôt, deux poèmes « en miroir » se répondent à tel point que surgissent des vers presque holorimes : « Ni les bornes arrachées couchées dans la mousse »[11] / « À nu les borgnes art haché cou obsédant la moue »[12] ; tantôt, les mots s’enchaînent et s’accumulent par agglutination sonore pour devenir musique, pur plaisir phonique :
L’étoile inutile paravent
Etiole la houle la fiole hurle
Agile nu fertile inaugure le vent
Qu’un paratonnerre file
Errant sur la lisse
Qui lie l’île au vent[13]
Le poème s’impose à son lecteur comme une douce explosion sonore qui semble faire voler le sens en éclats. Le vers tombe à la renverse ; le lecteur perd tout repère, comme si la mélodie des mots en couvrait la signification. Le poème est alors proche de certaines expérimentations poétiques de son temps, telle la jitanjáfora[14] dans laquelle les mots sont inventés pour leur simple valeur sonore. Reste l’impact. La déflagration. La séduction tant sonore que visuelle.
Cependant, l’absence du sens est un leurre. En réalité, celui-ci déborde des mots qui jouent entre eux et, fidèles au précepte d’André Breton, « font l’amour » ; les liens se nouent et se dénouent, les imbrications se succèdent, les premiers mots engendrent les suivants :
Mer hardie souterraine
Mare dissoute en source
Qui saute vers le sang nouveau
De la veille
J’ai vieilli à égaler
Le galet au saphir
Le rire aux funèbres
Eventails du palmier couché en joue
Si tu pouvais arriver
Mon hardi éperon
L’étincelle et la plume
Chevaucheraient de pair
Dans ma pierre tombale[15]
Ce poème est particulièrement exemplaire de ce principe d’écriture par dérivation : la « mer hardie souterraine » se transforme en « mare dissoute »[16] ; l’adjectif verbal « dissoute » donne lui-même naissance à la « source » et au verbe « saute » ; la « veille » engendre le participe passé « vieilli » ; l’infinitif « égaler » contient en lui le substantif « galet »… L’usage fait des répétitions et des paronomases met ainsi en évidence des liens insoupçonnés entre les mots et suggère un protocole de lecture éclairant pour l’œuvre de César Moro, et plus particulièrement pour les poèmes écrits à partir de la fin des années 1940. Bien souvent, le lecteur attentif peut déceler à l’intérieur des mots, ou dans la suite sonore qu’ils constituent, d’autres mots qui se répètent dans le texte, formant un réseau souterrain de sens, susceptible d’éclairer la lecture. Derrière la prolifération des sons et des images, s’ouvre une troisième dimension : les termes qui se font jour derrière les mots du poème leur confèrent une profondeur nouvelle, d’abord insoupçonnée, évidente ensuite.
Parfois, cette autre dimension, qui implique un niveau de lecture supplémentaire, est explicitée dans le poème. Le titre de la série de sept poèmes à laquelle appartient le texte précédemment cité, par exemple, aide le lecteur à remarquer que chaque poème se construit sur des variations autour des « jours de la semaine » : « L’un dit que l’ion dit », « Mer hardie souterraine », « Amer crédit celui d’user », etc. La dimension ludique de l’écriture et la participation active du récepteur dans le processus de lecture sont deux aspects essentiels de la poésie moréenne ; mais derrière le jeu et le travail du signifiant, se trouvent toujours les mêmes thématiques centrales : l’amour et l’écriture.
Le poème « Mer hardie souterraine… » se construit sur deux axes doubles en tension : la vie et la mort ; la passion amoureuse et celle de l’écriture. Au dynamisme et à la jeunesse du saut, du « sang nouveau », de l’« hardi éperon » comme métaphore de l’amant, s’opposent le vieillissement et la perspective de la mort du sujet qui semble faire le bilan de sa vie. « L’étincelle et la plume », soit la passion et la poésie, toutes deux au centre de cette existence, semblent ne pas toujours pouvoir être conciliées. Derrière la thématique amoureuse, presque omniprésente chez Moro, le lecteur perçoit très clairement la dimension métapoétique de ce poème où le sujet définit la tâche qu’il s’est attribuée en tant que poète, à savoir la transformation d’une pierre simple, brute, en une pierre précieuse, caractérisée par son éclat et sa valeur. On reconnaît là un processus de type alchimique, comparable à celui que décrit Baudelaire dans son projet d’épilogue pour l’édition de 1861 des Fleurs du Mal : « Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence, / Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ».[17] Le texte poétique résulte d’une transmutation de la matière première du langage en une matière plus noble, la matière poétique. Les vers moréens illustrent ce processus de transformation par la mise en valeur de l’homonymie existant entre « égaler » et « galet » : la reprise des mêmes sonorités est fondatrice de ce langage nouveau et unifiant. La « quintessence » du poème, chez Moro, réside dans ses noyaux sonores fondateurs qu’il revient au lecteur de savoir « extraire » de l’ensemble.
L’originalité, la valeur et la séduction de l’écriture poétique de César Moro résident en grande partie dans cette combinaison inédite d’un travail ludique du matériau sonore, qui ouvre le texte à des lectures variées, et d’une interdépendance presque constante des thématiques amoureuse et métapoétique, cette dernière se construisant fréquemment par référence, explicite ou implicite, à la tradition (ici, Baudelaire) ou aux contemporains.
Son dernier recueil, publié deux ans avant sa mort, témoigne d’une influence, non plus poétique mais plus largement littéraire, sur son écriture. Dans une sorte de retour au surréalisme des débuts, Trafalgar Square est entièrement construit sur le principe de l’irrationnel et du coq-à‑l’âne. Les syntagmes et les vers s’enchaînent, sans qu’il soit parfois possible de percevoir une quelconque cohérence dans cette succession :
- Merci du balcon
— Ah Monsieur ! que ne fût-il tombé !
— En effet, Madame, la gloire n’était qu’une traînée de poudre et ces plates-bandes en plus ça fait cinquante-sept[18]
Non seulement cette forme dialoguée rappelle les poèmes-conversations d’Apollinaire, mais elle semble surtout aller dans le sens de la remise en question de la communication langagière effectuée par le théâtre de l’absurde dans les années 1950. Les dialogues décousus, l’humour, l’absurde et le monde bourgeois qui caractérisent une pièce comme La cantatrice chauve d’Eugène Ionesco (1950), sont autant de traits que l’on retrouve dans Trafalgar Square. Le recueil s’apparente à une transposition de l’écriture de l’absurde du domaine théâtral à celui de la poésie ; dans les deux cas, la dénonciation d’un monde et d’un langage dénués de sens passe par la déstructuration du langage de l’œuvre.
Ces poèmes constituent cependant une exception dans le parcours poétique moréen où domine, au contraire, l’enthousiasme à l’égard des possibilités sonores et expressives de la langue française. Jusqu’à la fin, Moro aura chanté la vie et l’amour, de plus en plus étroitement liés à la mort, comme dans ces vers, datés du 19 mars 1955 :
Quand il fait tout à fait nuit
Puisque les fleurs
me donnent
leur amande secrète leur parfum
et j’ignore la vie et la mort
et tout le premier mot de la vie
et le prix de la vie
et le mot de la vie
La nuit chaude m’aime dirais-je
la vie me choit l’amour
berceur menteur existe
et tout ce noir bercail
n’est qu’un lit de roses
un lis un tigre la lune
[…]
La vie quel festin
‑les fleurs la nuit-
auquel nous participons si peu
Le blanc se meurt
Le noir parfume et tout brûle
néant dans le néant[19]
De façon significative, ce poème, qui figure parmi les tout derniers et chante la vie, se termine par une double affirmation du néant ; à l’approche de la fin, le poète exprime une perte qui s’étend à toute chose : « le blanc se meurt » et « le noir [part, fume] et tout brûle ».
Poétique du désir amoureux autant que poétique, l’œuvre de César Moro se développe à partir d’un vide, d’un manque fondamental : celui de l’objet désiré, éternellement fuyant. Dès lors, l’écriture tout entière n’aura eu de cesse de poursuivre cet objet de désir, construisant un nouveau lyrisme où le poète s’interroge sur la source même de l’écriture : la poésie de César Moro est celle d’un sujet qui se définit dans le poème par cette double quête, amoureuse et poétique ; pour reprendre la belle expression de Jean-Michel Maulpoix, l’œuvre poétique moréenne est l’« autobiographie d’une soif »[20].
[1] César MORO, Ces Poèmes… Estos Poemas…, Madrid, Ediciones La Misma, Libros Maina, 1987, p. 56.
[2] Son poème « Renommée de l’amour » est publié dans le n°5 de la revue Le Surréalisme au service de la Révolution en mai 1933 ; un autre texte est inclus dans l’hommage collectif des surréalistes à Violette Nozières, publié la même année à Bruxelles.
[3] La tortuga ecuestre, publiée pour la première fois en 1957, soit un an après la mort du poète, vient d’être rééditée à Lima aux éditions Revuelta (2013).
[4] César MORO, « Oh furor el alba se desprende de tus labios », La tortuga ecuestre, in Obra poética I, Lima, Instituto Nacional de Cultura, 1980, p. 56.
[5] César MORO, « Le palais blessé », Le château de grisou, idem, p. 102.
[6] César MORO, « Pour avoir un visage froid », idem, p. 112.
[7] C’est ainsi que commence un poème qui se présente comme une longue litanie où chaque vers débute par le prénom « Antonio » écrit en majuscules, et se poursuit par une affirmation contribuant à faire de l’amant un être divin et mythifié. César MORO, Cartas, in Obra poética I, idem, p. 73–74.
[8] César MORO, Amour à mort, idem, p. 178.
[9] Idem, p. 198 et 200.
[10] C’est ce que précise André Coyné, compagnon de Moro lors de ses sorties à la plage, dans un texte inédit : « Cronología », in Obra poética completa, Madrid, ALLCA XX, Collection Archivos (épreuves), p. 739.
[11] César MORO, « Coiffer le plat », Amour à mort, op. cit., p. 190.
[12] César MORO, « Fourmilière pavoisée », idem, p. 192.
[13] César MORO, « Etoile libre », Le château de grisou, op. cit., p. 92.
[14] En 1929, Alfonso Reyes a choisi ce terme dans un poème du Cubain Mariano Brull pour désigner des textes composés de néologismes créés pour leur seule dimension phonétique.
[15] César MORO, « Les jours de la semaine », Amour à Mort et autres poèmes, Paris, Orphée / La Différence, 1990, p.
[16] On remarquera que la mar sans « e » est l’équivalent espagnol de la « mer » ; les jeux sonores, chez Moro, se doublent fréquemment d’un jeu de résonances de l’espagnol sous le français.
[17] Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, in Œuvres Complètes, tome I, Paris, Gallimard, NRF, La Pléiade, 1975, p. 192.
[18] César MORO, « La bonne orientale », Trafalgar Square, in Obra poética I, op. cit., p. 214 et216.
[19] César MORO, Derniers poèmes, idem, p. 244 et 246.
[20] L’expression est de Jean-Michel Maulpoix et apparaît dans : Éric AUDINET et Dominique RABATÉ (coord.), Poésie & autobiographie, Marseille, cipM/Farrago, 2004, p. 38.