Chère Flo­rence Saint-Roch

J’ai lu Pré­par­er le ciel ces 4, 5 et 6 juil­let 2024, c’est-à-dire entre les 2 tours des élec­tions lég­isla­tives français­es. Et c’est un choc émo­tion­nel (« Alors dans la tête / On dis­tend la corde / On défait les nœuds »). Une décou­verte esthé­tique (« La page est immense »). Une jouis­sance de la langue (« Une phrase se forme / Incon­ti­nent se défait / Dans un poudroiement de pous­sière »). 

On pour­rait penser : tout de même, lire et par­ler de poésie dans des temps pareils ! Mais voilà qu’une poésie, cette poésie, parce qu’elle injecte le monde et la société dans sa parole, s’injecte elle-même, en retour, dans ce monde et cette société. Ce n’est pas si courant. Et pour­tant ! 

Voilà des décen­nies que je répète que la poésie s’adresse en pre­mier lieu à ceux qui ne la lisent pas. Qu’il me revient, avec les moyens qui sont les miens (Les parvis poé­tiques, depuis 1982), d’œuvrer à faire se ren­con­tr­er des voix soli­taires et des oreilles mul­ti­ples. Encore faut-il que ces voix, tout en évi­tant l’écueil des « Paroles grossières cris épais », sachent pren­dre à bras le corps la réal­ité tout sachant « Garder intacte la per­plex­ité », et sauve­g­arder la com­plex­ité. 

Vaste est l’horizon qui s’offre à la poésie, une fois passés les obsta­cles des préjugés entretenus de part et d’autre du lan­gage. Mais si « Le chemin com­mence l’espace », il n’est jamais tard pour être à l’heure. La preuve par ce livre. Com­bi­en ces textes par­lent en – et de — ces jours-ci que nous vivons. A l’heure où on peut se deman­der « Où sont donc passées nos belles idées » (« Se pour­rait-il qu’arrive une nuit / Où même les plus bril­lantes étoiles / S’éteindraient »), c’est dire com­bi­en ce livre « Avec vigueur empoigne le présent ». 

Et quand bien même : «  Si le monde autour s’éteint / Faire venir le ciel dedans », et pour ce faire, « Défa­tiguer les mots » est œuvre de salubrité publique.

Mer­ci Flo­rence, et si je suis triste de ne pas vous avoir lue/connue plus tôt, je suis heureux de vous décou­vrir enfin ! Comme quoi vieil­lir a par­fois du bon…

Marc Delouze

PS Au lende­main, et comme en écho à Pré­par­er le ciel (et à cette let­tre), les résul­tats des lég­isla­tives sem­bleraient exprimer un dés­espéré et néan­moins furieux désir de répar­er la terre… La poésie n’a pas fini d’en finir !

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Marc Delouze

Marc Delouze. Né à Paris. Vit entre Paris et Fécamp. Pre­mier recueil : Sou­venirs de la Mai­son des Mots (1971) pré­face de Louis Aragon (“Par manière de tes­ta­ment”). Il crée en 1982 Les Parvis Poé­tiques qui organ­isent des événe­ments, expo­si­tions sonores et lec­tures-spec­ta­cles et fes­ti­vals : Tout un poème (Paris), cofon­da­teur du fes­ti­val Voix de la Méditer­ranée (Lodève). Con­seiller lit­téraire du fes­ti­val C’Mou­voir (Can­tal). Après un silence volon­taire d’une ving­taine d’années, il s’en revient à la poésie ET à la prose, “par la force des choses”, en 2000. Ses poèmes sont traduits en anglais, ital­ien, espag­nol, hon­grois, russe, ukrainien, serbe, grec, mal­tais, chi­nois, arabe, hébreu, macé­donien, turc, malay­alam. Il se pro­duit en col­lab­o­ra­tion avec des musi­ciens, en France et dans des créa­tions à l’é­tranger : Chine, Taïwan, Inde, Koso­vo, Cen­trafrique, Ser­bie, Hon­grie, Turquie, Slovénie. Marc Delouze est présent dans divers­es antholo­gies et nom­bre de revues : Les Let­tres français­es, Action poé­tique, Europe, apulée, Décharge, Doc(k)s, Zone sen­si­ble, Le Matricule des anges, recour­saupoème… Par­mi ses Pub­li­ca­tions : Poésie De rupestre mémoire, con­ver­sa­tions avec des tableaux de Jean Vil­lalard et de Patri­cia Nikols, Rougi­er V éd. 2020, Deuil du singe, Les lieux-Dits, 2018, Petits Poèmes Post-it, Mael­strom, 2018, 14975 jours entre, la Passe du vent, 2012, T’es beau­coup à te croire tout seul, La passe du vent, 2000. CD Jusqu’à quand, avec Marc Delouze (textes et voix), Nan­cy Hus­ton (voix), Maxime Per­rin (com­po­si­tion, accordéon). max­aZu­rA Pro­duc­tion / productionmaxazura@gmail.com 2021 Théâtre Mai 68 aus­si loin que pos­si­ble, pré­face de Joël Jouan­neau, Les Cygnes, 2020. Réc­it Chroniques du purin, roman, l’Amouri­er, 2016, C’est le monde qui par­le, réc­it, Verdier, 2007 Essais Des poètes aux Parvis, pré­face de Hen­ri Meschon­nic, Antholo­gie poé­tique, La passe du vent, 2007 Tra­duc­tion Poèmes de Younous Emre, (avec Guzine Dino), Dessins d’Abidine Dino. Pub­li­ca­tions Ori­en­tal­istes de France, 1973, Antholo­gie de la poésie hon­groise, coédi­tion Corv­ina (Budapest) et Édi­teurs français réu­nis (Paris), 1978. Une ving­taine de Livres d’artistes