Linda Maria Baros, Le pistolet d’insémination et autres poèmes

Le pistolet d’insémination

Tout comme cette lumière qu’on exfolie de la rétine
           dans un sous-sol occulte, un projecteur dans les yeux,
            c’est ainsi que j’imagine la mort de la poésie.

Puisque ce n’est pas la combustion de la mort qui noircit
les os, mais, encrassés, le code de barres et les foreuses
                                                           des décorations,
les verres que les invités lancent, joyeux, jusqu’au plafond
                                                           – phosphorescents ! –
            et les musiciens sauvages qui viennent les attraper
                                                           avec leur bec.

C’est pour cela que j’écris le meilleur poème
                                                           que je puisse écrire.
Le poème qui trépane, brise les sutures en surjet
            et laisse ses artères, comme des tuyaux
            sous pression, se débattre, libres, autour du cou.
                        Qui taillade les poignets de l’air
                                               et en libère les dieux, les pierres.

On pratique les plus grands raclages sur la feuille de papier
et sous les armes.
Mais la main avec laquelle j’écris se sépare du corps,
                                   comme les mains des détenus sibériens
           cachées parmi les rondis empilés dans de longs trains                               
                                   glacés qui partent dans le monde.
Rien, pas même un geignement ne résonne
à travers le tunnel métallique de la langue.

Je tends la main, gardée par les volets de la clinique,
            par les mâtins blancs des volets,
                        juste assez pour qu’elle écrive le poème qui lave
                                   tes pieds fatigués dans son urine.
Aucun sein, aucun nuage ne tremble.
                        Peut-être les armes d’assaut.
                                                          Les rues.

Ma main attachée comme une menotte
                        à la vision qu’elle a de la poésie.
La main – détachée du corps – flottant par-dessus le monde.
            Un pistolet d’insémination dans son champ d’action.

 

Le circuit de la récompense. Dopamine et plaisir

 

Chaque nuit, le nœud pubien se desserre petit à petit.
           La peau s’élime.
Avec quelques outils mous, de chair,
nous essayons de défaire la haute couture crânienne de l’esprit,
            d’ouvrir les boîtes noires des plaisirs.

Commence ainsi le circuit de la récompense. Avec
            la courbure d’une viole qui garde dans la chambre
                        acoustique les halètements des instrumentistes.
Nous nous mentons. Nous cherchons une autre combustion,
une nouvelle étreinte – une sorte de loupe
à travers laquelle le monde se montre autrement,
                                   les choses telles qu’elles ont été faites.
            Que la chair ne pende plus au-dessus du lit
                        comme si elle suintait d’un crochet.

La nuit, nous gaspillons tellement d’insistance.                  
Le bruissement du drap, l’étincellement nocturne
                        de la peau qui sécrète beaucoup de tristesse.
                                   Le silence la langue qui s’entêtent
                                   comme un pont à rapprocher les gens.
Tous les nœuds se desserrent progressivement,
                        selon le mythe du recyclage stérile.
Dans l’éternelle et désespérée quête de l’amour.
                        Et les choses se donnent à voir, après tout,
telles qu’elles sont.
                        Déshabillées des noms translucides qui les
            désignent, nettoyées de la vessie de tout concept.
                        Pures, inévitables, d’une cruauté infinie.

Et le fleuve cogne, sous les fenêtres, contre le pont.
Comme s’il nourrissait ses noyés
                                               du dernier étage.

 

Les gens sortent dans la rue en tranches fines

Chaque soir, je descends dans la rue
           et la rue s’enroule autour de moi
            comme le bandage sur la plaie.

Je passe le fleuve. Ses chiens infidèles
            me lèchent la main.
Par-dessous les ponts,
            coule la chair de mes ennemis,
                                   en grands quartiers, bleuâtres.

C’est ainsi que je marche à travers la ville,
                        comme un dieu paresseux et cruel.
Les rues s’enroulent, poisseuses,
                        l’une après l’autre, autour de moi,
et cet enroulement, c’est la ville même,
            sous les hardes militaires du matin.

Toujours plus mince, toujours plus lucide.
C’est ainsi que je marche à travers la ville.
Comme un doigt qui tourne dans la plaie,
                                                           qui l’élargit.

Poèmes extraits du recueil La nageuse désossée. Légendes métropolitaines (Le Castor Astral, 2020).

Présentation de l’auteur

Linda Maria Baros

Poète. Traductrice. Éditrice. Née en 1981. Docteur en littérature comparée – Sorbonne. Vit à Paris. 7 recueils de poèmes, dont La nageuse désossée. Légendes métropolitaines (Le Castor Astral) qui s’est vu décerner, en 2021, le Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres, le Prix international francophone du Festival de la poésie de Montréal et le Prix Rimbaud de la Maison de Poésie de Paris. Poèmes traduits et publiés dans 42 pays. A participé à 105 festivals internationaux de poésie.

            Lauréate et secrétaire générale du Prix Apollinaire. Rapporteur général de l’Académie Mallarmé. Vice-présidente du PEN Club français. A traduit 55 livres.

            Directrice de la maison d’édition La Traductière et du Poésie Poetry Paris/Festival franco-anglais de poésie. Rédactrice en chef de la revue de poésie et art visuel La Traductière.

            Énorme griffe en argent à la main droite.

© Crédits photos Phil Journe.

Publications – sélection

recueils de poèmes – sélection

  • 2022, Les tireurs d’élite caressent de loin ton front (80 p.), édition trilingue (français-roumain-chinois), traduction en roumain par l’auteur, traduction en chinois par Bonnie Tchien Hwen-Ying, beau livre réalisé en collaboration avec les photographes Tïa-Calli Borlase et Zazoum, Éditions Transignum, France.
  • 2020, La nageuse désossée (108 p.), Le Castor Astral, France, Grand Prix de Poésie 2021 de la Société des Gens de Lettres de France, Prix international francophone 2021 du Festival de la poésie de Montréal et Prix Rimbaud 2021 de la Maison de Poésie de Paris ; Înotătoarea dezosată. Legende metropolitane (80 p.), Cartea Românească, Roumanie.

     • 2009, L’Autoroute A4 et autres poèmes, recueil de poèmes (80 p.), Cheyne éditeur, France.

     • 2006, rééd. 2008, La Maison en lames de rasoir, recueil de poèmes (80 p.), Cheyne éditeur, France, Prix Apollinaire, France ; 2006, Casa din lame de ras (64 p.), Editura Cartea Românească, Roumanie.

     • 2004, Le Livre de signes et d’ombres, recueil de poèmes (64 p.), Cheyne éditeur, France, Prix de la Vocation ; 2005, Dicţionarul de semne şi trepte (64 p.), Junimea, Roumanie.

  • 2003, Poemul cu cap de mistreţ (72 p.), Vinea, Roumanie.

recueils de poèmes en traduction – sélection

  • 2021, Безхребетна плавчиня. Міські легенди (La nageuse désossée. Légendes métropolitaines, 64 p.), trad. Anatol Viere, Bukrek, Ukraine.
  • 2021, Avtocesta A4 in druge pesmi (L’Autoroute A4 et autres poèmes, 48 p.), trad. Barbara Pogačnik, Belletrina, Slovénie.
  • 2021, Die Autobahn A4 : und andere Gedichte (L’Autoroute A4 et autres poèmes, 70 p.), trad. Christian W. Schenk, Dionysos, Allemagne.
  • 2020, Borotvapengeház (La Maison en lames de rasoir, 64 p.), trad. Halmosi Sándor, Ab Art Kiadó, Budapest, Hongrie.
  • 2018, Het huis van scheermesjes (La Maison en lames de rasoir, 64 p.), trad. Jan H. Mysjkin, Uitgeverij Vleugels, Amsterdam, Pays-Bas.
  • 2018, হাইওয়ে A4 ও অন্যান্য কবিতা (L’Autoroute A4 et autres poèmes, 64 p.), trad. Shuhrid Shahidullah, Bhashalipi, Calcutta, Inde.
  • 2018, Обезкостената плувкиня. Легенди от метрополиса (La nageuse désossée. Légendes métropolitaines, 80 p.), trad. Vanina Bozikova, FLB, Sofia, Bulgarie.
  • 2018, Shtëpia me brisque rroje (La Maison en lames de rasoir, 64 p.), trad. Luan Topçiu, Albas, Tirana, Albanie, Prix national de littérature de l’Albanie, dans la catégorie traductions.
  • 2017, রেজর ব্লেডে তৈরি বাড়ি (La Maison en lames de rasoir, 72 p.), trad. Shuhrid Shahidullah, Ulukhar, Dhaka, Bangladesh.
  • 2016, Hiša iz rezil britve (La Maison en lames de rasoir, 64 p.), trad. Barbara Pogačnik, Hyperion, Slovénie.
  • 2016, Fem dikter (Cinq poèmes), édition trilingue (français-suédois-anglais), trad. Hillevi Hellberg pour la version suédoise, trad. Alistair Ian Blyth et Liliana Ursu pour la version anglaise, Littfest, Suède.
  • 2014, De A4 Autoweg en andere gedichten (L’Autoroute A4 et autres poèmes, 64 p.), trad. Jan H. Mysjkin, Poëziecentrum, Belgique.
  • 2011, Bārdasnažu asmeņu nams (La Maison en lames de rasoir, 64 p.), trad. Dagnija Dreika, Daugava, Lettonie.
  • 2010, Къща от бръснарски ножчета (La Maison en lames de rasoir, 68 p.), trad. Aksinia Mihaylova, FLB, Bulgarie.

autres publications

  • Linda Maria Baros a également publié 13 livres d’artiste à profil poétique en collaboration avec des plasticiens français, 2 pièces de théâtre, 2 ouvrages scientifiques, de même que 23 articles scientifiques dans des livres ou des revues de spécialité. Ses poèmes ont été publiés dans 87 anthologies ainsi que dans de nombreux journaux et revues du monde entier. Ses poèmes sont traduits et publiés dans 42 pays.

Traductions – sélection

55 recueils de poèmes, anthologies poétiques, romans – dont 38 titres publiés en français

  • 2023, 5 + 5. Ondes de propagation (5 poètes et 5 plasticiennes), beau livre – anthologie poétique et visuelle (104 p.), choix par Linda Maria Baros et Emilia Persu, traduction par Linda Maria Baros, La Traductière, France.
  • 2023, Andrei Roman, Tu attends un bref transfert de sensations, recueil de poèmes (64 p.), édition bilingue (français-anglais), Éditions Transignum, France.
  • 2022, Le livre de Mircea, Ovidiu Genaru, recueil de poèmes (104 p.), La Traductière, France.
  • 2022, Le faux Dimitrie, Dumitru Crudu, anthologie poétique (96 p.), choix et traduction par Linda Maria Baros, La Traductière, France.
  • 2022, Poeţii care schimbă dona (Les poètes qui changent la donne), anthologie poétique (220 p.), choix et traduction par Linda Maria Baros, Exigent, Roumanie.
  • 2021, Je t’aimerai jusqu’au bout du lit, Daniel Bănulescu, anthologie poétique (84 p.), choix et traduction par Linda Maria Baros, La Traductière, France.
  • 2019, Poèmes, Eleanor Rees, recueil de poèmes (64 p.), édition bilingue (anglais-français), La Traductière, France.
  • 2018, personne n’a jamais ressuscité dans ma ville, Gabriel Chifu, anthologie poétique (88 p.), choix et traduction par Linda Maria Baros, La Traductière, France.
  • 2017, Souterraines, Mircea Bârsilă, anthologie poétique (80 p.), préface, choix et traduction par Linda Maria Baros, La rumeur libre, France.
  • 2017, Poèmes, Meirion Jordan, recueil de poèmes (64 p.), édition bilingue (anglais-français), La Traductière, France.
  • 2016, Larmoire de textes, Hélène Cixous, essais et poésie (256 p.), édition bilingue (français-roumain), trad. Linda Maria Baros pour les poèmes, Éditions Transignum, France.
  • 2013, L’Apocalypse selon Marta, Marta Petreu, anthologie poétique (96 p.), préface, choix et traduction par Linda Maria Baros, Éditions Caractères, France.
  • 2013, Je guéris avec ma langue, Floarea Ţuţuianu, anthologie poétique (80 p.), préface, choix et traduction par Linda Maria Baros, Éditions Caractères, France.
  • 2013, Chaosmos, Magda Cârneci, anthologie poétique (80 p.), traduction par Linda Maria Baros et l’auteur, Éditions de Corlevour, France.
  • 2011, Je mange mes vers/Îmi manânc versurile, Angela Marinescu, anthologie poétique (106 p.), choix et traduction par Linda Maria Baros, édition bilingue, Éditions L’Oreille du Loup, France.
  • 2010, Sans issue/Fără ieşire, Ioan Es. Pop, anthologie poétique (124 p.), choix et traduction par Linda Maria Baros, édition bilingue, Éditions L’Oreille du Loup, France.
  • 2008, Anthologie de la poésie roumaine contemporaine (20 poètes, 144 p.), Linda Maria Baros et Magda Cârneci éd., trad. Linda Maria Baros (17 poètes) et André Cadar (3 poètes), Confluences poétiques, France.
  • 2007, Travaux en vert. Mon plaidoyer pour la poésie, Simona Popescu, recueil de poèmes (108 p.), édition trilingue (roumain-français-allemand), trad. par Linda Maria Baros, Magda Cârneci, Werner Dürsson, Alain Lance, Jean Portante et Lionel Ray, Éditions PHI & Institut Pierre Werner, Luxembourg.
  • 2007, Attention, Tsiganes ! Histoire d’un malentendu, Corina Ciocârlie et Laurent Bonzon éd., publication scientifique (396 p.), édition bilingue (français-allemand), trad. Linda Maria Baros pour la version française, Musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg, Luxembourg.
  • 2005, les recueils de poèmes 11 élégies et Une Vision des sentiments dans Les non-mots et autres poèmes, Nichita Stănescu, anthologie poétique (240 p.), Éditions Textuel, France.
  • 2005, Laudă bucătăriei de ţară, Guy Goffette, recueil de poèmes (196 p.), AMB, Roumanie.
  • 2003, L’Évangile selon Jean la Métaphore, Dumitru M. Ion, recueil de poèmes (64 p.), édition bilingue (français-arabe), trad. Linda Maria Baros pour la version française, Naaman, Liban.
  • 2002, rééd. 2004, Un oarecare Plume/Un certain Plume, Henri Michaux, recueil de poèmes (100 p.), édition bilingue, trad. Linda Maria Baros, Alina Ioana Filioreanu et Adrian Cristea, Editura Paralela 45, Roumanie.
  • 2002, rééd. 2004, 2006, N-aş prea vrea ca s-o mierlesc/Je voudrais pas crever, Boris Vian, recueil de poèmes (96 p.), édition bilingue, trad. Linda Maria Baros et Georgiana Banu, Editura Paralela 45, Roumanie.
  • 1999, Piciul, Alphonse Daudet, roman (336 p.), Tedit FZH, Roumanie.

Interventions publiques

  • Linda Maria Baros a participé à 105 festivals de poésie dans 27 pays ainsi qu’à de nombreux salons européens du livre.
  • Plus de 1.000 lectures et débats littéraires sur 5 continents.
  • Parallèlement, elle a soutenu 6 conférences plénières et a présenté des communications dans le cadre de 5 congrès et de 26 colloques internationaux.

Prix littéraires – sélection

  • 2021, Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres pour La nageuse désossée, Le Castor Astral, 2020.
  • 2021, Prix francophone international du Festival de la poésie de Montréal pour La nageuse désossée, Le Castor Astral, 2020.
  • 2021, Prix Rimbaud de la Maison de Poésie de Paris pour La nageuse désossée, Le Castor Astral, 2020.
  • 2007, Prix Apollinaire pour La Maison en lames de rasoir, Cheyne éditeur, 2006.

2004, Prix de la Vocation – prix de poésie accordé par la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour Le Livre de signes et d’ombr

Autres lectures