La route la même
toujours la même
et différente
ses points de repères
ses surprises
cette nuit qui quelquefois
traverse le jourJ’ai rêvé quelquefois de faire de ce trajet un chef‑d’œuvre de l’effacement, l’artiste disparaissant dans les tours, les détours, les courbes, les plis, les replis de la route.
Cette route page blanche
page d’écriture
emportée
dans sa fragilité sa force
je donne ce que tu nommes
dit la route
qui s’efface et revient
C’est le Journal de la D207, le parcours dure vingt minutes, se fait tous les jours dans les deux sens sur l’espace de temps d’une année. Tout se passe à bord d’une voiture, appelée un char, derrière un pare-brise, sous l’action parfois des essuie-glaces, de la buée, bref ce qui empêche de voir librement, puis la vue se dégage, le voyage recommence inlassablement.
La route est ce à quoi elle conduit : paysages de saisons, passants, maisons, tournants, usagers…tout y dérive dans de multiples aspects qui s’interpénètrent. Progressivement, l’auteur s’élève vers une route mentale : La lumière de la vie. Etre en route c’est être en vie. Le paysage décrit est un prétexte à dire autre chose de plus intime, de plus général ou de plus abstrait. Mais le paysage concret finit toujours par revenir comme s’il était point de repère. C’est une voix calme et posée, posée sur le monde dans son évidence et son interprétation. Route en tant que reflets de la modernité. Beaucoup de flou et de brouillard passent par ces pages où l’accent porte le plus souvent sur l’un de nos sens qui est : voir.
Le poème n’est que
route réitérée
ressassement heureux
C’est la route du réel échappée des fausses routes de la fiction et peut-être de la raison. Elle y est parfois personnifiée. La route est : tenter d’être là. Ce journal dit le visible sans fioriture, le durable comme l’éphémère, la fixité comme le changement. Petite route secondaire, fragment de route, suivie dans la nécessité et l’habitude : route étroite de nos vies ordinaires.
La route est de l’inattendu qui veille.
Monde aux échappées tantôt claires tantôt sombres, monde limité par l’espace et le temps mesurés au rythme des jours qui s’ouvrent aux dimensions de l’univers. Monde élémentaire servant de point d’appui où toutes les formes de vie cohabitent dans une unité qui les dépasse. La route n’est pas une fuite qui nous ramène toujours au même centre, le même point d’un nouveau départ : Ce paysage apprivoisé. C’est tout un cadre de vie que dessine l’auteur, toute une philosophie sous-jacente, une manière de dire oui au monde par ses moindres détails qui nous élèvent vers une lumière pour étreindre la taille de la terre. Journal en symbiose avec le présent de tous les jours et le déroulement des faits d’ici ou d’ailleurs dans leur objectivité. L’espace aussi fragmenté soit-il reste toujours entier, monde un.
L’accident personnel traversé, dit André Du Bouchet, la parole par sa répétition se traverse et donne sur une plénitude synonyme de néant car nous n’allons nulle part sinon au même, vers cet espoir contenu dans sa banalité qui le grandit.
La route comme devant nous, sortie d’un tunnel, ainsi le suggèrent les encres de Macha Poynder, une route de nuit éclairée par des phares d’où ressortent les tracés clairs des lignes de séparation et de protection. Route qui dans les deux dernières encres, finit par disparaître pour ne laisser que certaines traces légères et subtiles. Est-ce une route à oublier ou à recomposer à partir d’éléments épars ?
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