Adrien Montolieu, Lise endormie

2017-12-30T22:46:29+01:00

 

Nous avons con­nu ce pays si vaste
où tout est sur le fil
dans l’ombre bleue des pins
entre ciel et reflets dans le miroir des dieux
chien et loup du silence
et le lac ren­ver­sé comme une barque
sur nos mémoires

Lise endormie à l’envers de la nuit
l’interminable nuit des elfes
tu es là désormais
où le seuil se fait arbre
et l’arbre  élan dans le jour bousculé
comme une prière
sans rien deman­der qu’être là

Lise endormie
sous la futaie du temps
et nos drakkars dressés con­tre les houles
tu te sou­viens  Lise endormie
des écumes  des sourires  des lichens
et des loin­tains si proches
qu’on en pou­vait encore effleur­er ce matin les visages

Dalé­car­lie
où même les saules pleurent avec retenue
ce pays si vaste où tu souris et passes
Lise endormie  ce pays si vaste
qu’il n’est pas don­né de t’y perdre
et d’y per­dre ta trace
pays des huit saisons sous la main des glaciers
dont le pas sou­verain sculpte les âmes
et dresse les chevaux

et ton désir viking
d’aller tou­jours plus loin
dans l’au-delà des cartes
pour effac­er la trace d’une douleur si vive
sans en bris­er le chant
ton désir ardent de con­trées dévêtues
où l’âme aus­si se déshabille
— nav­i­ga­tion à vue dans les amers
d’une mémoire abrupte

Nos mots sont blancs
désor­mais que tu dors
la parole apaisée où puise le silence
où luisent les flocons
où nous atten­dent la primevère et la jonquille
et le print­emps de rires et de bourgeons
se lèvera plus tard cette année où tu dors

Pour les fes­tins du large
et la braise attisée des voyages
pour les arrière-pays du rêve
où n’accostent jamais
que les mains qui partagent
pour les rives sans adieu
tu sais   Lise endormie
tu sais des chemins inconnus
des chroniques anciennes
tu nous pré­pares   Lise endormie
les anges du retour et le pays d’accueil

Les sou­venirs pèsent parfois
plus lourd que le présent
nous avons tant vécu nos vies à reculons
et tu nous as appris à ne pas retenir

Nous ne pou­vons pas refuser de vivre
main­tenant que tu dors
sous les palmes du jour
Nous ne pou­vons pas refuser d’aimer
ce que nous sommes sans toi

Et je pleure ce matin
C’est donc    Lise endormie
que tu es bien vivante

Com­ment te dire encore – et ne rien dire :
passe où tu repos­es  Lise endormie
Lise si vaste comme ce pays
où les trolls sont encore
plus nom­breux que nos rêves
ce pays où les hommes
appren­nent à grandir
sur le ven­tre de Dieu

De ton silence aussi
nous appren­drons à vivre
comme tu as dansé
Lise endormie
en ce pays si vaste
où tout est sur le fil
dans l’ombre bleue des pins
et l’aube renversée
 

Présentation de l’auteur

Adrien Montolieu

Adrien Mon­tolieu (de son vrai nom, Stéphane Leménorel) est né en 1971. Son recueil, Ciels de traîne, pub­lié au Cas­tor Astral, a reçu le prix Max-Pol Fouchet en 2008.
Pro­fesseur de philoso­phie, puis libraire, jar­dinier, chômeur inter­mit­tent et dilet­tante de longue durée.
Aimerait réus­sir à écrire comme on fait des ronds dans l’eau : par ric­o­chets et silences.
Aus­si cherche-t-il, mode de vie et art poé­tique, à ne pas trahir ce haïku claudiquant :

Seul t’ap­par­tient
ce qui en toi
se tait

 

Adrien Montolieu
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