Adrien Montolieu, Lise endormie
Nous avons connu ce pays si vaste
où tout est sur le fil
dans l’ombre bleue des pins
entre ciel et reflets dans le miroir des dieux
chien et loup du silence
et le lac renversé comme une barque
sur nos mémoires
Lise endormie à l’envers de la nuit
l’interminable nuit des elfes
tu es là désormais
où le seuil se fait arbre
et l’arbre élan dans le jour bousculé
comme une prière
sans rien demander qu’être là
Lise endormie
sous la futaie du temps
et nos drakkars dressés contre les houles
tu te souviens Lise endormie
des écumes des sourires des lichens
et des lointains si proches
qu’on en pouvait encore effleurer ce matin les visages
Dalécarlie
où même les saules pleurent avec retenue
ce pays si vaste où tu souris et passes
Lise endormie ce pays si vaste
qu’il n’est pas donné de t’y perdre
et d’y perdre ta trace
pays des huit saisons sous la main des glaciers
dont le pas souverain sculpte les âmes
et dresse les chevaux
et ton désir viking
d’aller toujours plus loin
dans l’au-delà des cartes
pour effacer la trace d’une douleur si vive
sans en briser le chant
ton désir ardent de contrées dévêtues
où l’âme aussi se déshabille
- navigation à vue dans les amers
d’une mémoire abrupte
Nos mots sont blancs
désormais que tu dors
la parole apaisée où puise le silence
où luisent les flocons
où nous attendent la primevère et la jonquille
et le printemps de rires et de bourgeons
se lèvera plus tard cette année où tu dors
Pour les festins du large
et la braise attisée des voyages
pour les arrière-pays du rêve
où n’accostent jamais
que les mains qui partagent
pour les rives sans adieu
tu sais Lise endormie
tu sais des chemins inconnus
des chroniques anciennes
tu nous prépares Lise endormie
les anges du retour et le pays d’accueil
Les souvenirs pèsent parfois
plus lourd que le présent
nous avons tant vécu nos vies à reculons
et tu nous as appris à ne pas retenir
Nous ne pouvons pas refuser de vivre
maintenant que tu dors
sous les palmes du jour
Nous ne pouvons pas refuser d’aimer
ce que nous sommes sans toi
Et je pleure ce matin
C’est donc Lise endormie
que tu es bien vivante
Comment te dire encore – et ne rien dire :
passe où tu reposes Lise endormie
Lise si vaste comme ce pays
où les trolls sont encore
plus nombreux que nos rêves
ce pays où les hommes
apprennent à grandir
sur le ventre de Dieu
De ton silence aussi
nous apprendrons à vivre
comme tu as dansé
Lise endormie
en ce pays si vaste
où tout est sur le fil
dans l’ombre bleue des pins
et l’aube renversée