Louise de Coligny-Châtillon dite Lou, Lettres à Guillaume Apollinaire

Une aviatrice (1) qui s’envoie en l’air… Un constat banal ! Cependant la dite Louise de Coligny, qui n’a rien d’un Blériot ou d’un Wright, n’est répertoriée sur aucune liste de femmes pilotes (Amélia Earhart, Thérèse Peltier) en ce début du XXème siècle. Elle a cependant suivi des cours à Pau, puis à l’école d’aviation d’Etampes en 1912.

 

 Oui, mais les ébats de cette Lou ont un partenaire de choix, le sieur Apollinaire. Elle atteint ainsi les cimes de la célébrité quand le poète lui dédie ses si fougueux Poèmes à Lou. Grâce à ces derniers, le big poète des Calligrammes et d’Alcools propulse cette navigatrice méconnue au hit parade des Lovers célèbres. Lou et Guillaume sont désormais recensés parmi les grands duos amoureux (Camus-Casarès, Sartre-de Beauvoir, Sollers-Rolin, Diego Rivera-Frida Kahlo, etc.).  Le courrier intime – fallait-il le dévoiler ? - de cette amante-aviatrice montre qu’elle préfère – au moins  un temps - le stylo à plume au manche de l’aéroplane.

La douzaine de lettres de la  sus-surnommée Lou est lue avec une délicieuse complicité par Rebecca Marder,  sociétaire de la Comédie française. En soi un régal ! Le phrasé  de la comédienne épouse (ou crée) les innombrables variations de ton et de thèmes de cette exaltée de la chair, si aisément portée sur le caprice. Mais pour dire quoi ?

Louise de Coligny-Châtillon dite Lou, Lettres à Guillaume
Apollinaire
, lu par Rebecca Marder, CD Gallimard, 2019, 12€90.

Dès décembre 1914, l’épistolaire woman  joue l’infantilisation protectrice de son poilu de poète : « Je pense que tu es dans ton petit dodo à la caserne ». Au loin, sur le front, « Guy » (alias Guillaume) fait de « jolis rêves » où «  il est question de moi », c'est à dire d’elle !  Avec la plus totale innocence, elle bêtifie encore un peu : «  Je vais aussi faire dodo »  et  « t’embrasse », souhaitant que ses jolis mots fassent « partie » des « rêves d’or » de l’amant.

L’embrasement total de sa chair est exprimé et réitéré avec la plus grande banalité : « Je t’aime. Je t’aime (répété). Je suis tout à toi pour toujours ». Ni plus ni moins.  Au fil des missives, elle persiste en modulant sa déclaration : «  Je t’aime à la folie ». Elle s’avère même « malade d’excitation ». Cette fulgurance torride engendre les phantasmes traditionnels d’être possédée par le mâle : « Prends- moi dans ton rêve. Toute. Toute ». Un goût d’appartenir qui frôle la dépendance masochiste. Elle souhaite même « se faire menotter toute la nuit »… Elle détaille sa soumission : « Fais tomber mon petit pantalon pour bien voir mes fesses roses bien en l’air. Mon petit ventre….Mon petit derrière ayant passé par toutes les couleurs que tu décris si bien »… « Tu écarterais mes fesses trop sensible, trop nerveuses… » Avec douceur et fermeté.

Madame Lou invite l’amant Guy à faire usage de la vigueur - certes amoureuse –  tant elle est emportée par le « désir » et la « passion » : « Prends de force ce que je te refuse. Possède-moi toute entière complètement, profondément ». Du sexo version B. Lahaie ???  Une apogée de la chair ? La totale – en tout cas ! - résumée dans un lapidaire : « Je veux que tu m’attaches », lequel est complété par un « Fouette-moi. Humilie-moi. Brise-moi. Tu es mon maître adoré » ! Résultat : « Je mourrai de douleur et de jouissance. Nous nous évanouirions tous deux dans le spasme trop violent. » « Je vais me tordre de désir toute la nuit ». Le lien sado-maso qui gouverne leur amour atteint probablement là son acmé.

Fin février 1915, Lou minaude dans un train, tout en écrivant son courrier à Guy. Un soldat anglais est installé sur le siège d’en face : « Mon petit adoré chéri… Petit garçon qui se laisse fouetter... que tu fouettes bien. Je voudrais te caresser de ma langue partout ».  Dans le compartiment, elle s’auto-échauffe : « Je n’en peux plus ». Tout attisée, elle reconnaît ses propres excès : «  Toutes les cochoncetés et tous les vices... Je les ai tous dans le sang. Je veux tout le vice et toute la volupté. »… Elle ajoute même une petite confidence - sans doute masturbatoire - non sans ravissement : « J’ai été vicieuse cette nuit. ».  Il ne manque plus  qu’à panacher le plaisir de Madame la libertine avec un peu de douleur: « En souffrant, la volupté sera plus forte »… « que je jouisse à mourir sous la schlag (2).

Au demeurant, toujours dans le compartiment et sur les rails, Lou scénarise la rencontre très concrètement, version cinématographique à la Robbe-Grillet : « Lever bien haut mon petit derrière... vicieux, tout rouge ? Je demanderai  grâce… Ta main descendra du ventre…Je me laisserai faire…Tu écarteras mes fesses en sang. Tu y pénétreras profondément sans pitié... Je m’évanouirai dans un spasme…J’ai peur de l’affreuse douleur et j’en ai besoin. ». Elle reste consciente du « vice de la flagellation » que son amant a « développé à l’extrême ». Nul doute, avoue-t-elle : « Mon esprit d’aventure se trouve dans son élément. » Ah, si elle était «fouettée en retour » ! N’oublions pas que dame Lou est toujours dans le train, face au soldat anglais toujours attentif.  Les secousses du  convoi l’excitent. Elle se trouve alors « prête à jouir » avec – de surcroît -  l’ « envie folle de (se) donner à cet inconnu ».  Elle va d’ailleurs presque jusqu’au bout : « Je viens de jouir sous le regard dominateur de l’Anglais. Je sais qu’il l’a vu…Zut : je vais être fouettée pour cela ». En bref, reconnaît-elle, « Tu me brises ».  Elle s’auto-désignera plus tard comme  son « petit sifflet à deux trous ».

En mars 1915,  le déluge affectif perdure : « Mon Gui à moi », « mon amour chéri, je t’adore, je suis tout à toi ». Cette fois-ci, elle s’abandonne toutefois à un élan de dévotion religieuse. Elle  ira donc prier Notre-Dame de la Garde à Marseille pour ceux qu’elle aime : « Rien ne nous séparera et pour toujours. » Au 1er mai, une naïveté sentimentale : un brin de muguet signé « ton petit Lou ». Elle l’invite aussi à regarder une bague – son cadeau - avec la mention « Lou aime Guy » : « t’aime et  t’embrasse tout plein. » Elle lui  joint un poème de Sully Prudhomme, qu’Apollinaire lui attribue par erreur !... 

En mai, elle s’inquiète avec légèreté : «  tu boudes ? ». Néanmoins, elle continue à l’aimer « tout plein ». En juin 1915, elle sollicite deux lettres par semaine. Elle a encore des revendications qui sentent le rappel mémorial pour stimuler une relation en train de se déliter : « Est-ce que le petit Lou méritera le fouet ? ». Elle anticipe quelques reproches afin qu’il n’aime jamais « quelqu’un d’autre » qu’elle (on sait qu’il court déjà d’autres jupons dont Madeleine Pagès, rencontrée en janvier 2015). En juillet, Lou lui annonce deux flirts mais revendique néanmoins une lettre tous les quinze jours. Et son « Gui », flirte-t-il ? En août, elle déclare d’autres flirts.

Si l’intérêt littéraire de cette femme émoustillée par l’amour n’est pas évident – un psy la dirait nymphomane -, il le serait encore moins si l’amant n’était qu’un simple plombier ou un paysan. Seule est importante son audace de langage et d’expression de femme libérée (ou en cours de libération). Dire le sexe aussi crûment – aussi virilement ? - se suffit en soi. C’est déjà d’une grande modernité.  Pourtant, en tant qu’auditrice de ce CD, nous ne possédons qu’une partie de ces chants de pariade : celui de Madame. Il aurait été amusant d’avoir en écho/ricochet les missives surexcitées ou dérivées de Monsieur, à savoir Apollinaire. Troublé aux racines de son être, le poète-poilu jadis échaudé par ses 11000 verges pornographiques (ou ironiques) ne peut être ainsi à l’écart.

Il en ressort une envie de commenter autre chose que cette libertine, dont la graphie pointue a tant de  nervosité. De plonger le nez  dans des documents… non inclus dans le CD.  De consulter quelques missives/poèmes d’Apollinaire (220 lettres, contenant 76 poèmes) qui disent l’incroyable fébrilité de sa passion (même de quelques mois). Il multiple les « Mon Lou (3), mon Lou chéri, adoré, je suis content, content. Des tas de lettres de Nîmes qui sont de toi et une lettre où tu dis être chez moi. Hier et avant-hier à cheval pas pu t’écrire de lettre ai pas rencontré de boite aux lettres ni de poilu pour me renseigner, et étais pressé, pressé. […] Ta lettre du vendredi Saint est un amour, ta lettre du 3 avril approuve l’idée du bouquin je le continuerai donc et beaucoup de ce qui est et sera dans mes lettres quotidiennes en fera partie. N’ai pas peur aucune indiscrétion gênante ne fera jamais partie d’aucun bouquin de moi. Le fameux livre : «  J’aime trop ton cher vice pour en parler »... Mais rien qui puisse être une indiscrétion sur notre cher roman à nous ma chérie. Ce serait un sacrilège épouvantable et je t’adore!  De son côté, Lou avait d’ailleurs évoqué dans ses lettres le « projet de bouquin » lancé par l’amant : « Ne raconte pas, ne publie pas notre cher roman. Il est à nous ». Elle s’attribue exclusivement (modestement ? ) le rôle d’inspiratrice : «  Je veux être ta muse ».

De fait, l’inattendu chez ce poilu littéraire – ce qui m’amuse vraiment -  consiste en  les références guerrières, tapissant sa correspondance. Une originalité ! Au « schlag » germanique évoqué par Lou, Gui répond par le canon de 75 («raide comme un 75 mon amour c’est une situation adorablement épouvantable »). Cette pièce d’artillerie a une pose érectile aussi figée que caractéristique : « Le 75 aurait bien épousé menotte mais ai résisté quoi que bien envie. […] Demain jeudi je retourne aux tranchées. » Même ces maudites fosses l’inspirent sexuellement : « T’ai-je dit la nudité des tranchées ? C'est extraordinaire. La nudité est toujours peu excitante et c'est un de tes charmes les plus exquis que même à poil tu restes excitante, mais la nudité des tranchées à quelque chose de chinois, d'un grand désert asiatique, c'est propre et désolé très silencieusement. […] Mon Lou très chéri je te prends de toutes mes forces et je t’embrasse longtemps, longtemps. Ta langue dure comme un poisson de mer parcourt ma bouche et m’affole. » Quant aux yeux de sa belle, ils « chavirent comme deux grands Dreadnought (4) touchés par un sous-marin ».  Les métaphores martiales plus édulcorées  panachent sa poésie : « Ton cœur est ma caserne » ! Au reste, elles ne sont pas seules. Toute forme évoquant l’érection - donc propice - a ses faveurs : «  Tu es ma muse mais bien plus que cela encore. Je t’embrasse partout et te serre à te briser et suis chérie excité à l’instar de la tour Eiffel ! »  Du tourisme spécial ! Un tourisme mué parfois en mystique : « Mon cœur flambe pour toi comme une cathédrale ». Après avoir publié ses Onze mille verges porno- rigolos (1907),  Apollinaire écrit à Lou huit ans plus tard : «Si tu savais comme j'ai envie de faire l'amour, c'est inimaginable. C'est à chaque instant la tentation de saint Antoine, tes totos chéris, ton cul splendide, tes poils, ton trou de balle, l'intérieur si animé, si doux et si serré de ta petite sœur, je passe mon temps à penser à ça, à ta bouche, à tes narines. C'est un véritable supplice. C'est extraordinaire, ce que je peux te désirer. [...] Mon Lou je me souviens de notre 69 épatant à Grasse. Quand on se reverra on recommencera ». 

Malgré les émois très personnels sus-décrits, Apollinaire fait de la morale grand public. Il n’hésite pas à dénier l’intérêt que les soldats portent aux « femmes qui passent » sur les routes. Il clame : « Moi j’ai de plus hautes amours / Qui règnent sur mon cœur mes  sens et mon cerveau / Et qui sont ma patrie ma famille et mon espérance / A moi soldat amoureux soldat de la douce France ». Il s’autorisera néanmoins personnellement des « instants de folie / De jeunesse et d’amour et d’invincible ardeur ». Au poète donc le droit d’évoquer les «  jolis seins roses », la bouche et les « cheveux sanglants » qui « rajeuniraient pour toujours leurs destins galants » (in Si je mourais là-bas). Bref, sa contribution langagièrement érotique éclaire les audaces de notre chère Lou. Plutôt de « mon-cher-Lou » !

A lire ou relire :

Recours au poème n°189

et son dossier consacré à Guillaume Apollinaire

Notes

(1) Aucune information n’est trouvée sur ses aptitudes ou ses vols…

(2) Schlag, mot allemand signifie le coup.

(3) Son amante est presque toujours dénommée « Mon » Lou, ce qui n’est probablement pas innocent. « Ma Lou » étant, il faut le reconnaître, moins euphonique.

 (4) Dreadnought, cuirassé redoutable de l’époque.

Présentation de l’auteur

Louise de Coligny-Châtillon

Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou, de son vrai nom Geneviève Marguerite Marie-Louise de Pillot de Coligny, est l'une des premières aviatrices françaises.

 Elle se marie le 8 mars 1904 avec le baron de Coudenhove. Ce mariage ne dure pas. Le divorce du couple est prononcé le 11 mars 1912.

Elle est élève de l'École d'Aviation Deperdussin basée à Étampes aux côtés de Jane Herveu, Mlle Faïna et Mlle Vandersy. 

Un jour de septembre 1914, elle rencontre le poète Guillaume Apollinaire (1880-1918) à Nice. L'écrivain tombe amoureux d'elle et ils entretiennent une courte liaison puis une correspondance enflammée en 1914, avant qu'il ne parte à la guerre.

Ils rompent en 1915 mais entretiennent ensuite une correspondance quasiment quotidienne, Apollinaire étant parti au front en Champagne. La dernière lettre d'Apollinaire, assez froide, est datée du 18 janvier 1916. Leur correspondance amoureuse, telle que rédigée par Apollinaire, représente 220 lettres et 76 poèmes, souvent inclus dans les lettres.

En 1947, elle fit publier les 76 poèmes et bouts rimés extraits de la correspondance d'Apollinaire. Cet ouvrage est présenté sous le titre "Ombre de mon Amour" fut vivement contesté par sa veuve Jacqueline et fut réédité plus tard sous le titre "Poèmes à Lou".

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Poèmes choisis

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