Il y a chez Luce Guilbaud une emprise de la mer. Elle est à la fois une passion et un élément qui forgent profondément sa sensibilité. Elle est chantée dans nombre de ses recueils. Dans celui-ci paru aux Editions Lanskine, quelqu’un, une femme, reste debout près des flots et pense à celui qui est en mer. Le titre à lui seul concentre la teneur du recueil. En une même formulation lapidaire, il rassemble le temps, le lieu et une invite à une expérience libératoire suggérée par le « large ».
Lieu d’abord non nommé, situé par référence à l’estuaire de la Charente, mi-réel, mi-rêvé. Le recueil ensuite prend du champ et s’ouvre à une autre mer, sans marées celle-là, le temps d’une croisière près de Rhodes. Et dans « la mer de vos absences », on passe à un véritable lieu mental. Tel est bien le signe d’une composition très fluide du recueil, comme l’attestent aussi les variations de tonalité. Tantôt grave, en mineur, lorsque la poète évoque les êtres chers disparus, tantôt majeure, à l’humour léger offert en partage au lecteur, dans « Armement minimum conseillé (pour rire) ».
Chez Luce Guilbaud, la mer sépare mais elle « renoue » aussi :
Celui qui part sur la mer me renoue
revient
le même et plus.
Peu d’êtres sont évoqués mais chez la poète, le sentiment de la mer n’est pas séparable de la relation à l’autre. Compagnon parti en mer : « Face à toi je suis femme de proue ». Ou la grand-mère, figure marquante déjà présente dans d’autres recueils, en particulier dans Comme elle dirait la mer.
Comme si la mer était le lieu des contraires, à la fois lieu de séparation en même temps que lien puissant entre les êtres.
Le recueil foisonne de notations, d’impressions : l’air du large, la lumière des nuages, les lignes qu’on laisse traîner au fil de l’eau, le bois flottant à la dérive, la lune très présente dans ces pages. L’air, la terre, l’eau, les trois éléments sont offerts dans ces vers pour dire les rythmes et les mouvements du vivant océanique.
L’écriture est habitée par une respiration qui traverse les vers dans un grand souffle poétique. Luce Guilbaud, comme Jules Supervielle qu’elle évoque à travers L’Enfant de la haute mer, sait ouvrir un espace imaginaire en mobilisant des images singulières. Telles ces « ciels brûlés cousus à la carène », ce « lavis de larmes ou ciel échoué ». Ce qui frappe, c’est que les termes de la vie maritime sont transposés aux sentiments en un superbe échange langagier. Ainsi :
le sourire tresse ses cordages
si tu tiens le trident
pour récolter l’écume
Écriture traversée aussi par les mythes, celui de Méduse, d’Ariane ou des sirènes.
La promeneuse de mers est captive de cette exploration du regard, de ce tête-à-tête avec l’illimité :
vagues sans cesse
dès l’origine
et nous à l’heure des marées
prenons le pouls du temps
Et la mer prend ici une dimension de flux éternel source de méditation. Métaphore de la vie, de l’écoulement du temps, présente dès le titre du recueil. Avec ses aléas, les moments heureux, les morts. Le rythme et la mise en forme graphique en portent témoignage : il y a des « creux », des hauts et des bas, à l’image des vagues intranquilles, qui emportent le lecteur :
Ciel
ce qui s’approche tombe
brutal épais plus vite
pas d’issue […]tornade
(l’assaille une douleur remontante
tombée sur la nuque
dans la vitesse d’échappée)
La mer devient image primordiale, ouverte sur l’infini que le titre d’un des poèmes résume parfaitement, « La mer sans conclusion ».
Et plus encore le poème « La mer de vos absences », belle évocation des morts aimés que des fils invisibles relient aux vivants :
Tous mes absents sont au large
cohorte de cris silence
dans la mer intérieure
Comme Marguerite Duras, présente en filigrane ici dans le clin d’œil au Marin de Gibraltar, la poète peut dire : « Regarder la mer, c’est regarder le tout ». C’est la grâce de ce recueil de grand vent que de nous y inviter.
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