Lucia Antonia, funambule de Daniel Morvan

Daniel Morvan : parler « poétiquement » du deuil

 

     Où va donc se nicher la poésie ? Parfois là où on ne l’attend pas. Dans un roman, par exemple. C’est le cas dans le dernier livre de Daniel Morvan, journaliste à Nantes, auteur d’un ouvrage très original sur le deuil et la disparition d’un être cher.

     Roman. Fable. Poème. Conte. C’est tout cela, en effet, le livre de Daniel Morvan. L’histoire ? Celle d’une funambule (Lucia Antonia) qui a perdu sa partenaire Arthénice dans un accident de cirque. Accablée par le chagrin, elle vit désormais en marge dans des marais salants où elle rencontre d’autres personnes vivant, comme elle, à l’écart.

     Daniel Morvan aurait pu écrire un livre pesant sur l’expérience douloureuse de la disparition. Expérience qu’il a lui-même éprouvée dans sa chair. Prenant la distance qu’il convient, il nous livre en réalité un texte aussi léger et aérien que les funambules qui se risquent, tous les jours, sur la corde raide de la vie.

          Car la poésie est là. De bout en bout. Elle l’est d’abord dans l’utilisation du fragment, aux allures de prose poétique. C’est le mode original d’écriture de ce roman divisé en courtes séquences à géométrie variable (parfois simplement trois lignes), regroupées dans quatre carnets datés de mars à juillet. Un exemple ? « Le monde connut un bref chagrin d’ivrogne et retourna à ses occupations. La course des étoiles ne s’arrêta pas plus d’un instant. Des regards se posèrent à nouveau sur nous, et plus méchants encore lorsque je fus seule, saltimbanque sans cirque, invisible parmi le peuple des oiseaux » (chapitre XLVI, intitulé « Le monde », page 43)

       La poésie, c’est aussi (comme dans toute œuvre poétique digne de ce nom) l’art de maîtriser ses mots pour qu’ils explosent mieux dans la page. Loin du verbiage. Plutôt dans l’épure et dans l’art de faire vibrer le blanc. Ainsi, l’écriture de Daniel Morvan nous renvoie-t-elle à ces mots de Max Jacob dans une lettre à René Guy Cadou : « La minute contient sa douleur ou sa joie et c’est de douleur ou de joie qu’est faite la poésie ». Ou à ces autres mots, toujours de Max Jacob : « C’est ce qui a été porté en silence qui compte et non pas ce qui a été cherché en tant que prétexte à écrire ».

    Sous la plume du romancier/poète Daniel Morvan, on peut donc lire des textes de cette veine : « Le départ d’une personne aimée fait de nous de grands hallucinés, et nous plaçons dans ces visions la prophétie de son retour. J’ai vu un vol d’aigrettes, au moment de ses poser sur le marais, former son nom » (page 85)

     Poésie, on le voit. Mais aussi quelque chose qui  nous ramène aux aphorismes, sentences, maximes et autres réflexions de ces grands auteurs du 17e siècle que Daniel Morvan affectionne particulièrement (Pascal, La Rochefoucauld…). Autant dire qu’il faut lire (et relire), en prenant son temps, ce roman peuplé de personnages vivant « poétiquement ».