Lucien Suel, La justification de l’abbé Lemire

Par |2020-06-21T13:19:23+02:00 21 juin 2020|Catégories : Lucien Suel|

 À la croisée du poème, du réc­it et de l’es­sai, cet ouvrage réédité en févri­er 2020 signe 42 épisodes d’un por­trait entre éloge et mil­i­tan­tisme, tableau his­torique et lyrisme du dithyra­mbe, véri­ta­ble pané­gyrique d’une fig­ure de l’en­gage­ment, un tel livre se fait trait d’u­nion entre le paysage du texte repro­duisant les allées en deux rangées d’un « jardin ouvri­er » dans sa dis­po­si­tion de ter­cets en colonnes et l’évo­ca­tion de la vie, de la pen­sée mêlées de celui qui fut l’in­ven­teur de ce jardin égal­i­taire devenu emblé­ma­tique de son com­bat social, Jules Auguste Lemire. Ce défenseur d’une doc­trine qu’il nom­mait le ter­ri­an­isme définis­sait comme devoir du gou­verne­ment d’as­sur­er la pos­ses­sion à toute famille d’un lopin de terre cultivable.

C’est ce vœu fon­da­teur, celui d’une lutte à la fois poli­tique et religieuse en appel à la sol­i­dar­ité, que Lucien Suel, dans le pro­pos ramassé de ses stro­phes, déploie comme le leit­mo­tiv ou la grande œuvre de l’abbé : « sub­or­don­ner tout geste / au tri­om­phe d’un par­ti / ce serait faire pass­er // la poli­tique qui coupe / devant la reli­gion qui / unit voici le dis­cours // de l’abbé Lemire voilà / ce que je veux pour un / ouvri­er que son jardin // et sa mai­son famil­iale / ce bien qu’il a acquis / par son tra­vail soient // insai­siss­ables exempts / d’impôt et de frais… ».

Dès lors ce prêtre n’est pas le sim­ple gar­di­en de l’Église, il en est le cœur bat­tant et impliqué dans une fra­ter­nité tant laïque que spir­ituelle, lancé dans l’instigation col­lec­tive pour laque­lle son regard plus généreux et plus vaste se heurte aux œil­lères obtus­es du par­ti con­ser­va­teur de son époque, mais les conci­toyens ne sont pas dupes qui chantent la valeur morale du prêtre-député :

Lucien Suel, La jus­ti­fi­ca­tion de l’ab­bé Lemire, aux édi­tions Faï fioc, 64 pages, 11 euros.

« votez pour celui d’ici / pour votre abbé député / qui se bat chaque jour // se bat pour la lib­erté / tou­jours votre recours / à Paris avec bon cœur // il se dévoue pour vous / pour vous tra­vailleurs / à votre bon­heur debout » L’hymne au bien­fai­teur d’humanité reten­tit par­mi ses électeurs !

Au-delà de la recon­nais­sance de ses pairs, c’est la justesse de sa démarche qui se révèle dans la bataille des propo­si­tions de lois n’ignorant pas les néces­si­teux mais con­tribuant au con­traire à pro­longer le com­bat hugolien de « détru­ire la mis­ère » : « abbé Lemire tu croy­ais / qu’il fal­lait faire la / guerre à la mis­ère oui // fal­lait la pour­chas­s­er / tout partout com­bat­tre / la dégra­da­tion humaine // tu as été le pre­mier à / t’attaquer au taud­is à / pro­téger les biens des // familles ouvrières que / tu veux insaisissables ».

La réin­ven­tion de ces nou­veaux paysages, alliages de la nature et de la cul­ture pour un meilleur partage des richess­es, la répar­ti­tion des mots sur la page de Lucien Suel, dans son éven­tail de cut-up aux procédés formels, éla­bore à tra­vers car­ac­tères gras et dis­po­si­tion en vers, con­den­sés à l’essentiel, un dessin poé­tique mêlant les signes de l’écriture aux con­tours de la pein­ture pour trac­er l’utopie con­crète des jardins ouvri­ers : « maisons jardins maisons / maisons fab­rique mai­son / jardins jardins maisons // jardins jardin jardins / jardins ter­ril jardins / jardins jardin jardins // du rouge vert du rouge / du rouge noir du rouge / jaune vert jaune rouge // vert vert vert vert / du vert gris noir vert / du vert vert vert vert // hari­cots per­sil fraise / radis pous­sière navets / cour­gette et cor­ni­chon // carottes poireaux pois / de sucre crassier maïs / salade laitue chicorée ».

            L’invitation à la botanique avec ses saveurs et ses couleurs se fait le sel d’un tel com­bat, si pri­mor­dial, ain­si la beauté du jardin ouvri­er dans les allées en deux ter­cets donne à éprou­ver au lecteur ce goût de bon­heur arraché aux injus­tices repro­duites à tra­vers les siè­cles, con­quête cha­toy­ante des pig­ments solaires dont se pare l’action col­lec­tive­ment réap­pro­priée de ce paysage sin­guli­er d’un bien indéracin­able, encore plus qu’une bonne action de char­ité, une mise en acte pen­sée pour le salut de tous, dont la quête obstinée du prêtre-député livre toutes ses let­tres de noblesse à une poli­tique digne de ce nom et qui peut se pré­val­oir, selon ce titre sig­ni­fi­catif, d’être « la jus­ti­fi­ca­tion de l’abbé Lémire », for­mi­da­ble­ment retraduite par la recherche styl­is­tique et éru­dite de l’écriture vir­tu­ose de Lucien Suel.

 

Présentation de l’auteur

Lucien Suel

Lucien Suel est un poète et écrivain français né en 1948 à Guar­becque dans les Flan­dres artési­ennes. Il se définit comme un poète ordinaire.
Il a édité, après Bernard Froide­fond, son fon­da­teur en 1971, plusieurs numéros de la revue The Starscrew­er con­sacrée à la poésie de la beat gen­er­a­tion et ensuite, Moue de Veau, mag­a­zine dada punk. Il ani­me les édi­tions Sta­tion Under­ground d’Émer­veille­ment Lit­téraire et un blog lit­téraire Silo.
Il pra­tique les per­for­mances poé­tiques et la poésie sonore (notam­ment avec le groupe de rock Potchük et au sein de Cheval23, duo musique, poésie).

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.

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