À la croisée du poème, du récit et de l’essai, cet ouvrage réédité en février 2020 signe 42 épisodes d’un portrait entre éloge et militantisme, tableau historique et lyrisme du dithyrambe, véritable panégyrique d’une figure de l’engagement, un tel livre se fait trait d’union entre le paysage du texte reproduisant les allées en deux rangées d’un « jardin ouvrier » dans sa disposition de tercets en colonnes et l’évocation de la vie, de la pensée mêlées de celui qui fut l’inventeur de ce jardin égalitaire devenu emblématique de son combat social, Jules Auguste Lemire. Ce défenseur d’une doctrine qu’il nommait le terrianisme définissait comme devoir du gouvernement d’assurer la possession à toute famille d’un lopin de terre cultivable.
C’est ce vœu fondateur, celui d’une lutte à la fois politique et religieuse en appel à la solidarité, que Lucien Suel, dans le propos ramassé de ses strophes, déploie comme le leitmotiv ou la grande œuvre de l’abbé : « subordonner tout geste / au triomphe d’un parti / ce serait faire passer // la politique qui coupe / devant la religion qui / unit voici le discours // de l’abbé Lemire voilà / ce que je veux pour un / ouvrier que son jardin // et sa maison familiale / ce bien qu’il a acquis / par son travail soient // insaisissables exempts / d’impôt et de frais… ».
Dès lors ce prêtre n’est pas le simple gardien de l’Église, il en est le cœur battant et impliqué dans une fraternité tant laïque que spirituelle, lancé dans l’instigation collective pour laquelle son regard plus généreux et plus vaste se heurte aux œillères obtuses du parti conservateur de son époque, mais les concitoyens ne sont pas dupes qui chantent la valeur morale du prêtre-député :
Lucien Suel, La justification de l’abbé Lemire, aux éditions Faï fioc, 64 pages, 11 euros.
« votez pour celui d’ici / pour votre abbé député / qui se bat chaque jour // se bat pour la liberté / toujours votre recours / à Paris avec bon cœur // il se dévoue pour vous / pour vous travailleurs / à votre bonheur debout » L’hymne au bienfaiteur d’humanité retentit parmi ses électeurs !
Au-delà de la reconnaissance de ses pairs, c’est la justesse de sa démarche qui se révèle dans la bataille des propositions de lois n’ignorant pas les nécessiteux mais contribuant au contraire à prolonger le combat hugolien de « détruire la misère » : « abbé Lemire tu croyais / qu’il fallait faire la / guerre à la misère oui // fallait la pourchasser / tout partout combattre / la dégradation humaine // tu as été le premier à / t’attaquer au taudis à / protéger les biens des // familles ouvrières que / tu veux insaisissables ».
La réinvention de ces nouveaux paysages, alliages de la nature et de la culture pour un meilleur partage des richesses, la répartition des mots sur la page de Lucien Suel, dans son éventail de cut-up aux procédés formels, élabore à travers caractères gras et disposition en vers, condensés à l’essentiel, un dessin poétique mêlant les signes de l’écriture aux contours de la peinture pour tracer l’utopie concrète des jardins ouvriers : « maisons jardins maisons / maisons fabrique maison / jardins jardins maisons // jardins jardin jardins / jardins terril jardins / jardins jardin jardins // du rouge vert du rouge / du rouge noir du rouge / jaune vert jaune rouge // vert vert vert vert / du vert gris noir vert / du vert vert vert vert // haricots persil fraise / radis poussière navets / courgette et cornichon // carottes poireaux pois / de sucre crassier maïs / salade laitue chicorée ».
L’invitation à la botanique avec ses saveurs et ses couleurs se fait le sel d’un tel combat, si primordial, ainsi la beauté du jardin ouvrier dans les allées en deux tercets donne à éprouver au lecteur ce goût de bonheur arraché aux injustices reproduites à travers les siècles, conquête chatoyante des pigments solaires dont se pare l’action collectivement réappropriée de ce paysage singulier d’un bien indéracinable, encore plus qu’une bonne action de charité, une mise en acte pensée pour le salut de tous, dont la quête obstinée du prêtre-député livre toutes ses lettres de noblesse à une politique digne de ce nom et qui peut se prévaloir, selon ce titre significatif, d’être « la justification de l’abbé Lémire », formidablement retraduite par la recherche stylistique et érudite de l’écriture virtuose de Lucien Suel.
Présentation de l’auteur
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