Avec Le temps est un faucon qui plonge, les éditions Pierre-Guillaume de Roux nous offrent de disposer, grâce à ces mémoires de Marc Alyn, du matériau complet composé par le poète.
Entre 2011 et cette dernière autobiographie, l’œuvre entière est devenue enfin visible. Les éditions du Castor Astral ont publié La Combustion de l’ange, intégralité de l’œuvre poétique d’Alyn de 1956 à 2011, puis Proses de l’intérieur du poème en 2015 rassemblant toute sa poésie en prose, publiant à part, fin 2017 Les alphabets du feu, chef d’œuvre du poète. Entre temps, début 2017, l’Atelier du Grand Tétras a édité Le centre de gravité, soit l’intégralité des aphorismes de l’auteur tandis qu’en 2012 les éditions des Vanneaux sortaient, dans sa collection Présence de la poésie, une anthologie des poèmes d’Alyn présentant le grand intérêt d’une belle étude générale de cette poésie par le poète André Ughetto.
Tout ce matériau enfin visible disions-nous car, outre l’accessibilité à la beauté d’une inspiration ininterrompue, nous est offert désormais, grâce aux mémoires du poète, de comprendre dans quelles conditions a pu émerger cette œuvre de haute tenue.
Marc ALYN, Le temps est un faucon qui plonge, Editions Pierre-Guillaume de Roux, avril 2018, 220 pages, 23 euros.
Ceci est d’un grand intérêt pour mesurer les métamorphoses d’un monde où le seul matérialisme étend son empire exclusif sur les êtres, à une époque, celle d’il y a finalement quelques secondes, où un homme pouvait décider « de devenir poète à temps complet pour le reste de (s)es jours, quoi qu’il pût (lui) en coûter. » Ceci ne fut pas sans sacrifices, naturellement, mais prendre aujourd’hui la même décision, les pages littéraires des journaux s’étant réduites comme peau de chagrin et la fonction de critique de poésie ayant disparu en même temps que l’intérêt du public pour le savoir que contient le poème, relèverait du suicide.
Aussi pouvons-nous lire ces mémoires de Marc Alyn avec nos deux yeux : notre œil gauche, celui du cœur, passionné par la vie d’un grand poète ayant donné une œuvre comme un guide de survie face à l’anéantissement programmé du transcendantal ; notre œil droit, celui capable de recevoir un enseignement pour les enjeux liés à ce que représente la poésie dans la réalité fragmentée actuelle. Et de cette vision complète tirer les conséquences pour sa propre vie. Autant dire que ces mémoires remplissent ainsi leur fonction de livre vital, de livre vivant pour qui souhaite tenir compte de la partition maintenant en cours sur le monde. Et donc choisir son camp par une transposition en nos conditions actuelles.
Marc Alyn est né en 1937 à Reims, terre du sacre de nos Rois. Reims est aussi la ville où se forma par l’amitié le cercle du Grand Jeu, réunissant les poètes René Daumal, André-Rolland de Renéville et Roger Gilbert-Lecomte, à l’ombre d’un surréalisme tapageur. Naître en ces terres d’authenticité dispose favorablement au spirituel et à la rectitude lorsqu’on se sent tôt investi par la parole poétique. Le premier souvenir qu’évoque Marc Alyn en ses mémoires est l’incendie de l’Eglise qu’il contemple depuis sa fenêtre d’enfance dans les bras de son grand frère. Ce baptême du feu le renvoie à la fascination de sa mère pour le personnage de Fantômas dont elle aimait tellement les aventures qu’elle donna pour prénom à son fils le nom d’un de ses auteurs, Marcel Allain. Enfance en temps de guerre, avec les privations que cela engendre, la solitude, faisant naitre le sens de l’observation : la grande école de la vie.
« L’excitation de la Résistance retombée, la France semblait ne plus avoir besoin de poètes (…) J’appartenais à une espèce en voie de disparition ». Cet aveu, dit avec soixante-dix ans de recul, mais appartenant à l’époque où Marc Alyn décide de consacrer sa vie à la poésie, nous dit quelque chose de ce qui s’est passé en France depuis lors. Nous dit aussi l’état de conscience du poète tôt engagé dans une cause qu’aujourd’hui encore l’on dit perdue. Le poète, espèce en voie de disparition, à l’instar du grand requin, du tigre du Bengal, de l’éléphant d’Asie, du panda géant, de l’acajou, de l’ébène ou du cèdre du Cap ? Il ne faut seulement croire qu’en l’illusion d’une modernité qui durerait toujours et qui serait l’apothéose du genre humain pour accorder crédit à la déconsidération de la poésie. Précoce, Alyn en prend conscience et s’engage dans une autre Résistance avec pour maquis le Poème.
Paris d’abord, et la publication de Le temps des autres qui recevra le prix Max Jacob alors que le poète vient d’avoir vingt ans. La reconnaissance, ou la gloire, est encore possible dans la France d’alors pour un poète : Alyn aura le plaisir d’entendre ses poèmes chantés par Jean-Louis Trintignant et Serge Reggiani. Il croise Aragon, Supervielle, Paulhan, Cocteau, Mac Orlan, et c’est sous cette constellation peut-être protectrice, cette pléiade poétique, qu’il partira pour la guerre d’Algérie avec toute sa génération. 1958, et ces mots, dans ses mémoires : « J’avais beaucoup à apprendre et à oublier, avide de connaissance plutôt que de savoir. Il convenait de laisser mûrir le Double des profondeurs à l’écart, loin des bains de la foule et du culte de la déesse raison. »
Qui n’entend pas cette question du Double n’entrera pas dans l’éminence de la parole de Marc Alyn, ni dans aucune poésie à vrai dire, du moins celle qu’Alyn définit ici parfaitement, la poésie des profondeurs. Entrer dans son œuvre, c’est-à-dire la lire ! Car lire la poésie permet d’être saisi par la réalité chamanique qu’elle contient, et ouvre à la chance d’établir en nous-mêmes ce lien avec notre propre profondeur, le Double singulier que chacun porte en soi.
Après la guerre, c’est le retour en France, l’installation à Aubervilliers avec sa femme d’alors, dans un minuscule appartement, ce qui lui fait écrire : « Je pris l’habitude de trouver en moi-même l’air que je respirais », sentence de survie liée à la respiration essentielle.
C’est à cette époque, il a 23 ans, qu’il rencontre François Mauriac, percevant dans l’œuvre du Prix Nobel le soubassement poétique de ses visions romanesques. Mauriac est alors moqué par toute l’intelligentsia parisienne tandis qu’Alyn entreprend de rendre hommage par un livre à la dimension poétique de Mauriac. Alyn deviendra par la suite critique de poésie au Figaro.
Des voyages et des rencontres capitales continuent de nourrir la vie de Marc Alyn, voyage en Slovénie, en Bosnie, rencontre avec le peintre T’ang Haywen. Il devient directeur de la collection de poésie que les éditions Flammarion viennent, grâce à lui, de créer. C’est le temps des alliés substantiels en les personnes de Bernard Noël, Lorand Gaspar, Andrée Chédid. Mais le parisianisme littéraire et les vues économiques présidant à l’existence des collections éditoriales décideront de son départ pour Uzès, où d’autres alliés, tels Pierre Emmanuel, Laurence Durrell, viendront agrandir ses horizons d’amitiés.
Mai 68 se profile, et dans le ciel nocturne du poète passe sa Nuit majeure, inspiré par sa rencontre avec le sud : « La structure verbale de mon recueil Nuit majeure s’organisait en vers de quatorze pieds réunis par strophes de cinq lignes elles-mêmes coupées de blancs — reposoirs de la musique. Ainsi naquit le poème conçu comme un labyrinthe dont le Minotaure eût été le poète lui-même captif de sa vie intérieure et, plus largement, du monde contemporain privé de ses racines spirituelles. »
Les années passent, sous ces coordonnées du sud qui l’aimantent, et la rencontre à lieu lors d’un voyage en Orient. La rencontre avec sa femme, alignée avec la rencontre avec sa grande vision née de la contemplation des paysages solaires : le fleuve Adonis, Baalbek, Byblos. Et la surimpression du visage de la poétesse Nohad Salameh, l’amour de sa vie. C’est là que lui est donné son chef d’œuvre, Les alphabets du feu, qu’il mettra plusieurs années à matérialiser en chant avant d’avoir perçu l’existence d’un « cadastre du sacré ».
Toutes ces années consacrées à la poésie, la sienne et celle des autres en tant que critique et directeur de collection, lui ont rendu, pourrait-on croire, ce qu’il avait donné. Il reçut le prix Max Jacob, le prix Apollinaire, le prix Goncourt de la poésie, le grand prix de poésie de la Société des Poètes français, remis par Senghor.
Mais qui, aujourd’hui, dans la rue, connaît le nom de Marc Alyn, c’est-à-dire qui a lu son œuvre ? Ce n’est pas le moindre des paradoxes destinée à la poésie.
Aussi après toute cette reconnaissance du milieu, son œuvre commence enfin à devenir visible. Ce en quoi elle agit, pour qui a choisi son camp dans la désacralisation de la matière. « Il n’y a pas d’autre issue à la crise que la transcendance, seule voie qui ne soit jamais menacée », écrivait Arnaud Desjardins.
La transcendance, pour qui choisit de lire la poésie des grands poètes, agit en contagion.
Les grandes images de Marc Alyn sont de cette contagion bienheureuse. Sa poésie conjure les hivernales de la modernité.
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