Marc Dugardin, D’une douceur écorchée

Par |2020-09-06T20:35:11+02:00 6 septembre 2020|Catégories : Marc Dugardin|

Que s’est-il  passé de jan­vi­er 2016 à décem­bre 2018 dans le monde, de douceurs et d’é­corchures pour que Marc Dugardin inti­t­ule ain­si son dernier ouvrage, paru chez Rougerie en mars 2020 ? Qu’est-ce qui a fait que pen­dant cette péri­ode « vivre était plus ter­ri­ble encore et plus doux que cela » ? Quelle est cette « romance au bord du vide », ce « retour vers les lits fiévreux de l’en­fance » ?

Comme s’il s’agis­sait d’é­tudi­er la douceur en obser­vant ce qui en serait un écorché Marc Dugardin cherche à voir à tra­vers la peau douce des jours heureux pour en étudi­er les mus­cles et leur ten­sion, les réseaux nerveux des sen­ti­ments, l’os­sa­t­ure des souvenirs.

Marc Dugardin le sait, écrire n’est jamais que se bless­er au coupant des émo­tions. Et nous, sim­ples lecteurs, aimons voy­ager dans les mots qui nous en dis­ent plus sur nous-mêmes, dans ces silences inclus dans leur parole. C’est tout cela que nous offre le poète belge.

Cette « douceur écorchée » ne serait-elle pas ce qu’on appelle la résilience, quand les écorchures se refer­ment avec le temps ? Avec la faute qui reste « tapie dans un coin ». Avec les mots pour cica­tris­er « On écrit / dans le naufrage du je qui écrit » ou « à deux doigts de l’im­pos­ture d’écrire ».

Comme si la douceur du moment ne pou­vait pas sig­ni­fi­er le bon­heur « Je dis cela parce que la douceur / est vio­lente », qu’elle por­tait sur sa peau les scar­i­fi­ca­tions de faits d’his­toires dra­ma­tiques. Kigali, Nya­ma­ta, heureuse­ment vingt-deux ans après, « des bras se sont ouverts pour promet­tre autre chose ».

 

Marc Dugardin, D’une douceur écorchée, Rougerie, 2020, 80 p., 13€.

 

On pour­rait se pos­er la ques­tion de l’im­pact du temps et du lieu sur l’écri­t­ure, dif­fi­cile d’en faire une analyse holis­tique. Mais plutôt ressen­tir, appréci­er les par­al­lèles avec le des­tin de Man­del­stam dans ce siè­cle chien-loupqui s’ache­va sur les mas­sacres du Rwanda.

Revenir aux choses sim­ples. Du temps, l’en­chaîne­ment des saisons « dans le fond nous ne savons pas / ce que c’est que l’au­tomne // et pas non plus ce qui distingue/ une fin d’un com­mence­ment ». Dans la douceur du matin, un bol de café, des vis­ages, le même mou­ve­ment envelop­pant des mains. « un matin / où sim­ple­ment / quelqu’un prend pitié ».

Par­tir, fuguer. Fugue est musique. Envol. L’oiseau « dans le chant à peine com­mencé », « le chant qui nous laisse sans réplique », « ago­nise au bord du poème ». Fugue en lais­sant toute sa place au silence « écoute // c’est presque le silence // c’est peut-être pour ça / que ce n’est pas la mort ». Par­tir et revenir à l’en­fance « la mémoire de l’en­fance  / s’en­roule sur elle-même ». Cette enfance source de toutes les douceurs et toutes les écorchures.

Man­del­stam, mais aus­si du Bouchet vien­nent marcher en ces pages. Imre Kertèsz vient nous ramen­er aux géno­cides. L’écrivain norvégien Tar­jei Vesaas y fait gliss­er sa bar­que. Le poète hon­grois János Pilin­szky est là en con­vive et Coltrane joue qua­tre notes. Schu­bert accom­pa­gne Ale­jan­dra Pizarnik et Mozart nous tire une larme.

Revient régulière­ment chez Dugardin l’im­age de la table, lieu de partage entre co-pains, lieu d’échanges entre am(e)is, « la table en attente », « ce n’est jamais vrai­ment une table […] cela ressem­ble trop à un poème » . Moments de douceur que ces échanges.

L’au­teur pro­pose en fin d’ou­vrage, quelques notes de genèse, quelques clés pour mieux com­pren­dre les cir­con­stances d’écri­t­ure de ces poèmes. Ce qui n’empêche aucune­ment le lecteur d’en avoir sa pro­pre lec­ture. Car « on ne s’é­corchera jamais assez à la douceur d’un poème ». Marc Dugardin, une lec­ture douce, à peine écorchée.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Water­­mael-Boit­s­­fort le 27 novem­bre 1946. Habite actuelle­ment à Namur. A tra­vail­lé comme édu­ca­teur spé­cial­isé puis dans l’Enseignement de Pro­mo­tion Sociale. Mem­bre du comité de rédac­tion du Jour­nal des Poètes. Lau­réat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A pub­lié, unique­ment en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nour­rie par l’écoute de la musique, un chem­ine­ment d’homme entre désar­roi et émer­veille­ment, une soli­tude qui entre en réso­nance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bib­li­ogra­phie

  • Con­nivences, Flé­malle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Brux­elles, Le Cormi­er, 1984
  • Ricer­care, Flé­malle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une par­en­thèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la pléni­tude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infin­i­ment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en col­lab­o­ra­tion avec Lucien Noullez, Brux­elles, Edi­tions de l’Ours, 2000
  • Soli­tude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hov­e­nieren in ver­getel­heid / Jar­diner dans l’oubli, Leu­ven, Edi­tions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (col­lec­tion Tex­tim­age – avec deux gravures de Jean Ver­ly), 2004
  • Frag­ments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Een­zame samen­zang en andere gedicht­en / Soli­tude du chœur et autres poèmes, Leu­ven, Edi­tions P, 2005
  • Soupi­rail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mex­i­co, Edi­tions Fos­foro, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des pho­togra­phies de Muriel Claude), Brux­elles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille pro­fonde, Châte­lin­eau, le Tail­lis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en col­lab­o­ra­tion avec Mar­leen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leu­ven, Edi­tions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en col­lab­o­ra­tion avec Alexan­dre Valas­sidis), Paris, L’herbe qui trem­ble, 2011
  • In memo­ri­am, tirage lim­ité à 20 exem­plaires avec des col­lages de Max Partezana, édi­tions Cen­trifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

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Denis Heudré

né en 1963 à Rennes, denis heudré cul­tive son jardin dis­cret dans un coin de la web­sphère sur son site inter­net

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