Marc Dugardin, La vierge au dieu manquant
Là, assise, les mains posées sur les genoux, les paumes tournées l’une vers l’autre, l’enfant, son enfant, elle le tient, mais il n’est pas là, elle ne tient qu’une absence de dieu.
L’enfant-dieu, le nourrisson, elle, la vierge, elle nous le présente, elle nous le présente qui manque, depuis des siècles, ce geste figé d’une présentation en creux.
Mère dont le jeune visage laisse toutes les questions en suspens… L’enfant a-t-il été volé ? Un ange l’a-t-il prématurément ramené au ciel ? Une autre femme, ailleurs, en prendrait soin ?
Visage qui préserve son mystère et ce n’est pas à l’usure du temps, à la peinture qui s’écaille que l’on doit ce trouble. Non, c’est à ce regard accordé à l’absence, ce regard qui nous met en présence de ce qui n’est pas là.
A-t-elle seulement jamais porté un enfant dans son ventre, cette femme, cette jeune fille, que sait-elle du poids du monde, elle dont les mains depuis si longtemps portent l’invisible ?
Ses mains écartées, mais les bras tout près du corps, elle n’accueille que son enfant, que son roi, que son dieu, n’allez pas vous substituer à lui, elle est mère de cette absence, c’est tout !
Triste ? Peut-être… mais elle n’ouvrira pas la bouche, elle restera muette, si un cri de mère éplorée jaillit en elle, vous ne l’entendrez pas.
Ou s’il y a un désir, ou s’il y a un espoir, ou si son geste n’est qu’attente, vous ne le saurez pas, vous ne saurez rien.
Mère de l’enfant invisible, mère de l’enfant qui manque, mère du nom qui n’a pas été donné, et vous ne poserez pas votre tête sur ses genoux, non quelque chose vous arrête, car sa tendresse même est réservée à ce qui manque, ô cette mère de la tendresse, ô ce manque toujours au cœur de toute tendresse…
Et ce reproche, léger certes, tout de même, ce reproche dans son regard, elle, innocente, elle, pure dit-on de toute faute, sommes-nous coupables, est-ce nous qui provoquons, ce manque, est-ce nous qui condamnons toute présence à l’absence ?
Qu’est-ce qui est arrêté dans les plis de sa robe, qui tremble au bord de ses lèvres, qui se dissimule sous la peinture blessée de son visage ? Une parole qui ne peut être dite, une absence sur laquelle nous fondons notre parole ?
Seulement ainsi, dieu pouvait être présent dans notre maison : comme le manque que tient cette mère dont l’image est accrochée au mur.
Mère de tout ce qui nous manque, mère de ce qui, au fond de notre mémoire, nous inscrit dans l’oubli.
Extrait de Un pas pour l’éphémère un pas pour l’éternel, Rougerie, 1993