Marc-Henri Arfeux, Verger du cercle dévoré
Verger du cercle dévoré est un recueil sur la perte d’une mère, de la mère. Elle s’en est allée, brisant le cercle maternel, laissant l’enfant dévoré par le vide.
Le poète Marc-Henri Arfeux suit les pas d’une présence qui s’estompe jusqu’à disparaître, puis s’éclaire de l’absence, « à la chaleur de l’invisible ».
En une longue et sublime promenade poétique, il revisite chacun des endroits du « jamais plus ». L’être aimée est en toute chose, pourtant nulle part accessible : « tes pas ne rencontrant que cendre/Au lieu qui fut baiser sous les talons/De la douceur » (p.7). Les poèmes du verger disent la cruauté des lieux lorsqu’ils sont désertés par celle qui seule « détenait la clé de l’amandier (p.8).
Tout, désormais, dira ce vide. « Celle qui portait colombes/Et beau lilas d’enfance/Est maintenant la transparente/ Au grand azur cerné. » (p.7)
C’est l’hiver en ce verger. Il fait si noir au centre du jour et autour de la disparue, un noir qui œuvre à la disparition lente de l’enfance dans le passage des ombres, la lumière ne s’offrant qu’avec pudeur. Lumière inerte, spectrale qui, dans la pâleur obligée « referme le jardin sur la brûlure de l’amandier » (p. 27).
La nuit est un cyprès
Qui tremble de silence,
Veillant poussière et nuit.Seule une poupée lunaire
S‘adosse à son attente,
Les yeux tournés vers les étoiles. (p 8)
Marc-Henri Arfeux,Verger du cercle dévoré, éditions Alcyone, 2021, 40 pages, 14,00 €.
Il faut alors endurer le retour douloureux des matins coupants. Et le froid, plus vif que de coutume. Mais encore traverser l’écho de plus en plus fragile des rires, croiser les regards dérobés par le vent glacial, défigurés par une trop grande douleur qui consume le cœur, dévore l’esprit entre amour et colère, le livrant, sans retenue, à l'étreinte du silence.
Où chercher, où se tourner pour conserver le visage de la mère, le dessiner dans les formes végétales, à la hauteur du chèvrefeuille et du rosier, l’entendre au vol des oiseaux. « Sans fin tu cherches autour de l’arbre/Dont l’écorce est un seuil. » (p.8).
Marc Henri Arfeux nous conduit dans ce labyrinthe de l’absence, où s’éloignent lentement les traits du vivant, les champs de couleur et l’innocence de l’éternité : « Le vide est ce visage/Par acte de lointain,/Chemin de seuil se souvenant/Que la question se nomme absence » (p. 18)
Son écriture, fluide, presque évanescente dans la première partie du recueil, laisse s’écouler l’impalpable. Une écriture de givre, de neige qui pose un masque de brume sur la terre du verger et recouvre les cieux à la manière d’un linceul. Un inéluctable aveuglement « Au blanc naissant de l’ébloui » (p.17) brouille et déréalise le regard : « Blancheur des nuits/Infiniment sableuses/A dénombrer les nombres,/Tandis que sur la chaise,/La robe évanouie. » (p.5).
Mais au cœur même de ce profond silence le temps poursuit son œuvre secrète. La nuit noire qui ouvre « les puits à la folie » (p.6) lève progressivement ses ombres, dévoile ses espaces infinies, ses présences irréelles. Et voici que l’âme de la défunte vient en visite dans le verger. De l’absence intolérable, « aveugle vide ouvert » naît la vision d’une mère magnifiée qui « manie les étoiles » et fait chanter l’énigme du temps
Elle a les yeux d’abîme
Où naissent de grand oiseaux,
Les rougeoyants de l’ombre,
Avec leuts becs tenant l’épine ;Et de sa bouche abonde incessamment
Le lait de cendre prophétique
Tandis que de ses doigts bagués d’oubli,
Elle manie les étoiles. (p. 21)
A son flanc, « le long poignard d’étoile/Continue de chanter pour l’arbre mince,/L’enfance/Et les chemins d’attente,/ (p.32), de proférer quelques paroles comme des murmures lointains enfouis dans la sève des végétations. De cette magnificence, elle absorbe le trop grand désespoir, libère les éléments de tant de perceptions sèches et dénoue les tissages serrés du chagrin pour mieux le dépasser, peut-être même le consoler. A la source même de la perte, la vie revient en toute douceur tandis que la nuit dévoile ses espaces : « La nuit t’a dit : / Regarde ce noyau/Dans le désert d’un fruit. » (p.11)
Dans cette lente déambulation au cœur d’un réel abrupt, « Le jardin rouvre les seuils » (p. 35). Les lourds rideaux de pourpre se lèvent très lentement, donnant à la lumière du verger une tout autre tonalité, de nouvelles perspectives d’intimité. La matière poétique incarne avec profondeur ces mouvements de déplacements et de transfiguration entre l’insoutenable écrasement de l’impalpable et le rapprochement des objets, entre le dehors nu des matins d’hiver, brutaux, et la maison du soir dont la chaleur sensible recompose, entre les pierres du cercle maternel dévoré, un chemin de clarté. Jusqu’à définir les contours fragiles d’un espace qu’il devient possible d’habiter : « La nuit, tendue de cloisons fines,/Se fait maison de la clarté/Tremblante et nue/Dans la maison. » (p.36)
Nous le suivons ce long chemin frayé par les mots du poète, à la fois mouvement grandiose de ce qui revient et peuple la mémoire « de vastes chambres », et conscience d’une insurmontable perte : « Tu restes avec la pierre, /Buvant le vin funèbre/que tu partages/ Avec l’absinthe et le serpent. » (p. 27).
De cette dernière demeure dont la profondeur est saisissante remontent encore quelques échos de voix, « un sourire d’indéfini » et des éclats de corps. L’aimée fait retour au cœur même de son absence, puis s’éloigne toujours plus apaisée, plus lumineuse, et, « dans sa robe ombrée de jeune hiver », elle « fait naître un pur avril » (p.33)
Marc-Henri Arfeux déplie en une lenteur poétique lumineuse autant qu’initiatique ce cheminement du deuil, dans la complicité du « très haut silence » et des recoins muets de la maison. Il en médite l’irréversible blessure, le met en musique et en espace, et ainsi le revêt d’images sensibles, intenses qui scandent la traversée de l’épreuve et lui donnent substance : Le deuil est ce chant de l’oiseau « Vibrant vivant d’un arc/Où le jardin du cœur./ (p.37), l’éclosion de l’amandier qui « refleurit dans le lointain/ Du presque adieu,/ (p.38). Et plus encore, il est l’ouverture de l’amande, « Et le verger devient/Ce double fruit d’espace » (p.39) dont l’absence est le noyau.
Dehors n’est pas,
Dehors n’est plus,
La seule a retrouvé présence
A la chaleur de l’invisible
Offert aux yeux par une absence. (p.36)