Marc Ross, Manuel et François

Manuel et François - suivi de Badlands

         

Manuel et François

            à mon grand-père,

 

 

Les mots impuissants trouvent le temps long
Des notes se convertissent en syllabes d’espoir
Dans un hangar servant d’hôpital provisoire
Les ombres délicates trouvent la nuit démente

Partout des cris des pleurs et des gémissements !
Parmi tant d’affligés et de corps malmenés
D’odeurs pestilentielles et de mâchoires closes
Des bouches sont là pour faire briller l’histoire

Parlons de Manuel soldat brave et fougueux  
Au 96èmerégiment d’infanterie celui d’Apollinaire
Manuel Martinez recherche son jeune frère
Et la page décline son matricule : R 2414 !

À portée de regard du diable en uniforme
Un homme se relève se signe d’une croix
L’artilleur du groupe 6 se trouve peut-être 
Parmi ces estropiés à la tête bandée

 

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-   Où es-tu François réponds ? Et cesse de mourir !
Mère ne sort déjà plus de la chambre endeuillée !
La guerre lui a pris en plus de son mari
José son fils aîné tombé aux Dardanelles ! 

Comment s’y retrouver les blessés se ressemblent
À croire que ces fantômes sont tous sourds et aveugles !
Malgré le brouhaha il faut qu’oreille entende
Un air remue couvertures et oreillers pourris !

Ne sachant comment faire pour retrouver
Son cadet Manuel eut l’idée de siffler
De la même manière qu’ils communiquaient
Lorsqu’ils étaient enfants à Merdja Sidi Abed

Allez ! Siffle Manuel… Ravive la mémoire
Dieu n’est pas insensible à cette mélodie !
Ce quatrain visible sait faire preuve d’indulgence 
Porté à bout de bras l’écho n’est pas perdu !

Voilà les murs les lits avertis de la partition !
Vous savez les lèvres tissent tant d’histoires
Que sans d’autres armes qu’un regard étendard
Les sons prennent allure pour rapprocher les êtres

Ô trouble confusion !…  Entends-tu ce que j’entends ?
La suite de sons trouve lieu de miséricorde
Quelques accords jaillissent de cet orifice
La bouche en coeur abrite mille chardonnerets 

Devant pareil festin le silence fleurit enfin
Les poilus allongés s’étonnent de l’instant    
Deux soldats salués offrent un fameux duo
Et leur musique réveille tous les humbles damnés

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Cousu de cicatrices François trône dans la pénombre
L’hymne fraternel fait valser ses tympans
Et la joie comme flambeau de fête semble
Se tenir debout sur la table des convives

-  Ô frère protecteur ! Manuel mon ami !
 N’est-ce pas là mirage encore à l’affût ?
 Je rêve du pays     Je rêve d’idées folles  
 De caresser encore l’herbe de nos cabrioles !

 -  Musique d’os et de chair ! Tu es vivant François !
 Prends ta sacoche usée moi j’ai mon baluchon
 Il faut s’enfuir   Regarde ! La lune est rouge sang 
 Des baïonnettes entrent encore par la fenêtre !

-  Manuel ! Je m’étonne des ténèbres attentives
 Nous sifflons tous les deux avec tant d’allégresse
 Que la chambre en béquilles apparaît plus sereine
 Et la belle compagnie semble amie du bien !

  -  Chaque note te sert d’échelle mon beau François
 Et Le poème en fleurs se poursuit dans tes yeux 
 Allez viens avec moi ! Partons sans crier gare !
 Laissons visions d’horreur citations et médailles

 

Des soldats obstinés vont mourir au combat
Mais nos deux grands gaillards gardent un souffle de vie
N’en déplaise au gueulard au capitaine obscène
Ils s’écartent pour un temps du désastre boueux !      

Une musique éloigne Manuel et François
De la pire malédiction     Comme un cri de victoire
Un train les attend à Soissons pour les ramener
Chez eux     Sur le lieu même où la mère habite.

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Manuel Martinez  (1894 – 1981) -  96èmerégiment d’infanterie
François Martinez (1897 – 1980)  -  6èmegroupe d’artillerie à pied d’Afrique

José Martinez (1891 – 1915)  -  3èmerégiment de zouaves

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BADLANDS

(mauvaises terres)  

 

« On ne vend pas la terre sur laquelle on marche »

Crazy Horse

 

Flash éclair  Grand vent  Soleil brûlant

Quelques taches parsemées de genévrier 

Dans la région sauvage du ruisseau Sauge

Les Arikaras les premiers à subsister

Autour de ces rochers

Mis à nus   Déposés

 

Dénoncées mauvaises terres à traverser

Par les crapoteux trappeurs français

Mutilées par des soldats ivres

De vulgaires marchands

Monnayant eau de feu contre bain de sang

Sur ces arpents de terre violée

Passent en amont   Passe le temps

Paissent encore quelques bisons

 

Flash éclair   Grand vent   Soleil brûlant

Quelques taches parsemées de genévrier

Hommes condamnés à regarder l’herbe pousser !

Des indiens Lakotas les derniers à subsister

Autour de ces rochers

Mis à nus   Déposés.

 

 

témoignage de la Grande Guerre, et Badlands, par Marc Ross (poème et voix) et Claudine Ross (marionnettes)