Maria Galkina, Une histoire du blanc

Par |2024-05-06T18:58:48+02:00 6 mai 2024|Catégories : Maria Galkina, Poèmes|

« mais traduire est une sépa­ra­tion aus­si.      Traduire

la sépa­ra­tion »1

*

 

    Et puis, il y avait des forêts blanch­es. Champs à perte de vue. S’il fal­lait écrire une his­toire du 
blanc, ce serait l’histoire russe. Une fumée, et les tâch­es de sang dans la neige. En blanc : le 
caméléon.

La neige est la couleur éblouis­sante du deuil

Tu t’es endor­mi : j’éteins

(On devient imprononçable)

*

 

    S’il n’y avait pas eu du noir, je ne t’aurais jamais remar­qué. Mais le noir est, comme le sont les 
éten­dues d’eau noire cet hiv­er sans neige dans un endroit proche comme l’Orient et dis­tant comme le 
ven­tre d’un étranger. Les champs s’alternent avec les champs, et la route est cou­verte de vides roux. 
La tête de Jean Bap­tiste est déjà coupée, et elle saigne en lais­sant ses bassins s’étendre de l’Est à 
l’Ouest.

Le monde n’est plus. 

 

Les plaies sont en paix, je ramasse leurs couleurs. 

 

*

 

    Tes cheveux sont partout : tem­pête de ques­tions. Enfuis vers l’Est, les voici – à la ligne de front. Il neige. 

    (Claque­ment de briquet)

 

    Feu.

 

*

 

    Et chaque vis­age est pau­vre quand il n’est pas à toi. Les lacs de nuit se taisent devant ton 
silence. Dans chaque flaque règ­nent tes lèvres dis­crètes. La cru­auté de la mer ignore ses frontières 
où le nous vac­ille avant de tomber. A peine touch­er ta manche en par­tant et –

    m’effondre.

 

*

    Tu dis : « la dou­ble absence est inscrite dans nos vis­ages de l’Est ». Je souris. « Un bourreau 
n’a pas de vis­age ». Je ferme les yeux. Déjà vu.

 

*

    Je rêve d’un hiv­er nucléaire, et je ne sais plus dans quelle langue je par­le, dans quelle langue 
j’attrape les che
nilles (elles me brû­lent les doigts, les peignent en bleu). Je te racon­te les lacs des 
morts, la terre. Vers nulle part coule – ma tête d’eau. Un sol­dat lui chante. Chut. 

 

    Le lac se lave : se lève. Soulève­ment des mers. 

    Vent.

 

 

 

 

 

 

Note 

1. André du Bouchet, Ici en deux, Gal­li­mard, p. 98.

Présentation de l’auteur

Maria Galkina

Maria Galk­i­na (née en 1996 en Russie) est nor­mali­enne, doc­tor­ante et pro­fesseure de philoso­phie, poète et tra­duc­trice. Après les études en créa­tion lit­téraire à Moscou, elle a inté­gré l’École Nor­male Supérieure pour faire de la recherche en philoso­phie con­tem­po­raine. Elle a pub­lié plusieurs sélec­tions de poèmes en russe, avant de pass­er à l’écriture en français, à la fois académique et littéraire.

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