Marianne Braux, Quatre sonnets
Le sonnet des Sibylles
De syllabe en syllabe elles élaborent l’antique
Epreuve du sens rivé aux désirs autonomes
Et couvrent l’œil infirme d’un invisible baume
Fait des sons sibyllins dans leur bouche éclectique
Ces femmes je veux les retenir
claires obscures
Non point comme d’amusantes fables tant s’en faut
Ni pour mettre à mal l’injuste glose du héraut
De l’Un pénétrable
malaimé
à bannir
Sans pitié pour celles qui détiennent le la
Du faux chant des hommes n’y entendant que le glas
De la perpétuation
Ces femmes sans loi
Je veux les faire revenir
Au lieu de la vague prose
Qu’elles arrachèrent à sa cause et qui encore osent
Hanter dans nos chapelles les mâles souvenirs
Infans
Des limbes revenu
le bel enfant de l’Art
Vocalique appose au monde un autre regard
Vernaculaire où accule le sang de ses pairs
Morts là où lui peut encore voir les rivières
Qui ne cessent pas de luire pas d’ébaudir
Avec leurs chants de bataille finie l’ouïr
Des survivants de la vie vécue
il a mal
A l’endroit des visages dormis dans les vals
Rétrécis par son cœur antithétique
esquisse
Du locus amœnus les limites cicatrices
Sur lesquelles il se tient en défrichant la vue
Il fait un pas foule du pied l’herbe battue
Contre une pierre chute
déjà il se fait vieux
(destin consonantique)
Il a deux trous bleu-silence au lieu de ses yeux
Les choses
Jeté le filet sur l’abondance des choses
J’épuise mes mains mises à l’empan du dehors
Dix doigts ne suffisent pas au poids de mon corps
Allégé du désir d’elles qu’on y appose
Les choses je ne les vois pas encore
les choses
Gisent ajournées au fond de l’étang d’une eau
Qui dort quand moi je voudrais plonger sur le dos
Nuque tendue yeux éveillés vers le ciel d’or
J’ai peur du noir
ne nage que sur les bords
Oublie peu à peu face au précieux bleu sans Cause
L’objet inassouvi de mon premier effort
Eblouie je sens alors mes pieds qui se posent
Au filet inutile dont les choses se bardent
Partant d’autres l’auraient jeté
moi je le garde
Limitation
Si nos mimes étirent
L’étendu monde amer
déjà
Sale et sucré
Pour n’y trouver que
Râles
cris
pleurs et rires
Ebroués du bout
De nos doigts alanguis
Si parent nos dits répétés
Le vu au devant en partie
Des mêmes
Contingences infinies
Pour s’y reconnaître pâles
Et bubelés
presque morts
Le front pantin plein de rides
Le regard
Eberlué liquide
Si
Si
Si l’engeance
Alors je dis oui
d’accord
Merci
encore
De tout ce dépareillage
De ce vain maquillage
Où la réalité ivre de nous
Se dit sous
Les superficies les étages
Je dis aux Hommes
A la peau grise et luisante
Soyez
Archéologues du bâti
Sur un puits sans frontières
Jouons la pièce
dos courbé
De la vie montante
Tirons à pile ou face
Vers le ciel dans l’ombre tapi
Laissons les cous lisses
Les corps purs au vestiaire
Et entrons bardés d’insu dans la place