L’ouvrage, après une brève introduction qui nous renseigne sur les sens possibles de son titre, se compose de quatre parties. Chacune, introduite par une aquarelle de l’autrice en pleine page, comporte une vingtaine de poèmes : En regard, En silence, En souvenir, En partance. L’usage insistant du gérondif souligne la simultanéité de plusieurs actions et le sens d’une démarche sans cesse en devenir.
Dans son Liminaire aux Reposoirs de la Procession, Saint-Pol-Roux écrit :
Sur la terre gérondive, nous allons enfin réaliser en pleine clarté toutes les images naïves qui, depuis l’origine, se sont fixées sur les infiniment petits murs sombres de cette caverne : le cerveau de l’homme.
Un même regard, une même main, un même élan trace peintures et poèmes. En partage, une mince ligne d’ombre les accorde. Comme à l’horizon le ciel rejoint la terre.
Les poèmes de longueurs variables n’excèdent pas une vingtaine de vers et tiennent sur une page,
à l’exception d’une longue suite de distiques (p 66 à 69) où les vers comme des touches d’ombres parlent de lumière et dessinent sous nos paupières un tableau invisible.
« Écrire avec la voix du regard », écrit justement Marie Alloy. Des regards soufflent sur la braise des couleurs et la main gratte le charbon des mots où sont enclos les souvenirs de l’arbre. L’ombre et la cendre parlent de la lumière et du feu. Synesthésie. L’œil écoute, l’oreille regarde. Scrute le rapport au temps, à la mémoire, à l’enfance et aux souvenirs des aimés disparus. Et cela nous touche, car le sujet dans le poème est un nous impersonnel.
La Ligne d’ombre est aussi ligne de vie et de lumière
Marie Alloy, La ligne d’ombre, Al Manar, 2024, 116 pages, 20 €.
∗∗∗
Extraits
Le regard
prélude au poème
à la toile
Le poème
prélude au fruit qui s’élève
se détache se délivre
tombe
s’ouvre en deux corps
deux solitudes
l’une d’ombre
l’autre de chair
*
La question est à présent
sur nos lèvres dans nos yeux
- avons-nous jamais cru au paradis ?
le petit bois des souvenirs s’enflamme
avec les images du vieux chêne
la volière aux perruches les dahlias
les haies noires de cassis
les montagnes de paille après la moisson
et l’odeur du poulailler
- qui les réveillera d’entre les morts ?
Nos rêves sondent ce qu’ils brûlent
dans l’onde froide des peurs
Où l’ombre s’incline
reste une voix sans personne
avec un peu de chaleur
veloutée
*
Nous avons voué nos mains
au silence de la toile
au bruissement des couleurs
à la lumière natale qui ne saurait se perdre
Nous avons voué notre chant nos mains
nos voix nos paroles à ces moments
où nous étions petite rivière
Parfois le temps s’allège
nous n’y sommes pour rien
s’allège et puis revient
jusqu’au vertige
et prépare sa chute
dans la lumière
*
Tremblantes feuilles roulées au sol
le temps d’une ondée de givre
le temps de ravauder le tissu des signes
nous entrons sous les feuillages glacés
glissons sur la surface du papier
et la grisaille du fusain
retombe sur nos cœurs
Présentation de l’auteur
- Marie Alloy, La ligne d’ombre - 21 octobre 2024
- Alain Roussel, Le Texte impossible, suivi de Le vent effacera mes traces - 21 juin 2023
- Pierre Dhainaut, APRÈS - 26 septembre 2019
- Michèle Finck, Connaissance par les larmes - 26 janvier 2018