Marie-Christine Masset, Figura
Figura
Elle est apparue
une nuit d’été.
Certains la voulaient claire,
d’autres invisible.
Elle déplaçait sans effort
les monts et les roches.
Elle ressemblait
aux jambes écartées
des femmes en couches.
Désirer l’attraper
comme on serre dans ses mains
un poisson frétillant
était signe de vie.
Ni feu
ni air
ni terre
ni eau
mais à son approche,
la plus petite des herbes
vibrait.
Les nuits d’été,
on pouvait entendre de loin,
nos rêves crépiter en elle.
Personne ne répétait rien à personne.
(Seul ce qui parle dans le secret
invite le poème en partage).
Viens, dit-il
Eclairé par la lune,
un arbre dans la nuit,
ouvre un passage.
«Viens, dit-il, je suis ton œil et ta main,
tu verras, tu toucheras.
Hier, des hommes et des femmes ont lancé
dans la mer une poussière rouge,
soleil et sang séché,
un peu de ta mémoire, c’est vrai.
Reprendre les paroles
de la chanson engloutie
t’aurait noyée.
Il n’est que le vent
pour bercer mes feuilles,
et mes rêves, je te le promets,
seront les tiens.»
Aller à l’autre
Une île au milieu du fleuve
affronte la mangrove-araignée.
Ce qui semblait impossible étreinte
calme les oiseaux cachés.
Quand la lune éclaire les paysages,
sur les feuilles des palétuviers,
d’étranges lignes de feu tissent
des chants mêlés d’air et de terre.
Nous, peut-être, et ce que nous serons
dans l’abandon consenti de nos rives.
Partition nocturne
Juste après son départ,
le fond des herbes a rougi.
Ce n’était pas le signe
d’un oubli ou d’un adieu.
(Certains paysages se replient
en cas de silence).
Quand, fossilisés, les mots
n’ont plus de résonnances,
ce qui se terre dans les visages
est un gouffre
où le masque du temps
a figé une histoire
impossible à effleurer.
Si une nuit d’orage,
elle s’anime et engloutit
jusqu’à son reflet,
une pluie mêlée de clarté
écartera les herbes.
Il fera bon revenir
marcher entre les brins
comme entre les notes
d’une musique nouvelle.
à Olivier Sigrist
Autre vision du feu
.
Tu lis sur le sable
un vent qui s’annonce,
et pourtant tu te réjouis
de n’avoir plus à compter
les étoiles dans le ciel
pour chasser les prédateurs.
Il est des tempêtes aimées
comme l’eau claire.
Elles aiguisent ta voix,
effacent tes traces et
celles des bêtes sauvages,
te donnent assez de nuit
pour rêver, et de jour,
pour après elles,
démêler les herbes
comme on tresse
sa destinée.
à Jean Joubert, I M
Cette histoire
Et si la vie n’avait elle-même
qu’une vie et le savait,
que ferait-elle de tout ce bleu
qui inonde le monde
ou de cette glace
qui attend que nous apprenions
tous à parler ?
Se perdrait-elle à ralentir
le cours des fleuves,
comme on le fait parfois,
avant de désigner
dans la langue des rêves
ces ombres qui affolent nos déserts ?
Peut-être nous ferait-elle deviner
cette histoire plus douce
que toutes les autres
qui crisse dans les sables
mais ne s’écrit pas ?
Cette histoire où les forêts
existent avant les arbres
et l’avenir avant la vie.