Marie-Hélène Prouteau enchante Nantes
Née à « Brest même » mais profondément Nantaise, la bretonne Marie-Hélène Prouteau quitte « la petite plage » nord-finistérienne décrite amoureusement dans un précédent livre (éditions La Part Commune) pour nous parler de sa ville d’adoption, cette « ville aux maisons qui penchent » du côté du quai de la Fosse, cette « ville aux pierres blanches » où « le tuffeau règne en maître de lumière » et « doit composer avec le granit janséniste ».
Nantes a toujours été une belle matière littéraire et poétique. Marie-Hélène Prouteau s’inscrit dans une lignée prestigieuse et nous propose, à son tour, sa « forme d’une ville » (Julien Gracq) en présentant un kaléidoscope d’émotions fugitives ou de sensations éprouvées, sur place, au fil des ans. Ses « suites nantaises » (sous-titre du livre) sont des échappées belles, des fugues à la manière de compositeurs brodant sur le motif.
La culture y tient la part belle, qu’il s’agisse de l’évocation d’un marché de la poésie où l’éditeur Yves Landrein expose ses livres, d’une rencontre avec Michel Chaillou au lycée, d’un livre de poète tchèque aperçu à la devanture d’un libraire et amenant l’auteure à évoquer des séjours pragois. Et quand Marie-Hélène Prouteau voit un pianiste et un violoniste roumains verbalisés dans les rues de Nantes, elle s’indigne et nous entraîne vers un livre du poète Mandelstam évoquant la confiscation d’un piano à queue. Mais quand la poésie peut à nouveau retrouver doit de cité lors d’une création collective de la Maison de la poésie, elle ne peut que se réjouir. Rue des bateaux-lavoirs, elle peut alors écrire :
Buée bleutée des lessives sur les bateaux-lavoirs
Les lavandières aux mains rougies lavent les battoirs
Les corps fatiguent et les voix chantent la vie à la peine.
Dans d’autres textes (il y en a vingt au total), Marie-Hélène Prouteau inscrit son propos dans l’histoire de la ville. Ainsi ce souvenir de Libertaire Rutigliano (19 ans) embarqué dans les vents mauvais de l’histoire, torture puis déporté à Dachau. Mais l’histoire rejoint vite la poésie.
Deux mois auparavant, il aurait pu y faire la connaissance de Robert Desnos. Parler ensemble de poésie, de liberté. Lui, le jeune émigré qui, à quatorze ans, dans une lettre à son père, parlait de poètes romantiques et de Shakespeare.
Il y a, enfin, dans ce livre, des souvenirs d’enfance qui remontent à la surface (comme autant de bulles à la surface de la Loire) : une excursion d’écolière dans les marais de basse-Loire ou de lycéenne aux Floralies de Nantes. Ne manquent pas au tableau, non plus, dans d’autres chapitres, le pont Eric Tabarly, la Tour Bretagne et le Lieu Unique. On sent une auteure faisant corps avec sa ville, à l’écoute de ses battements de cœur. Et pour cause : « Nantes respire à la bonne hauteur, écrit Marie-Hélène Prouteau, elle a vocation de patience. Son pas est lent, la ville fait la part des choses, indifférente aux emblèmes éphémères dont s’entiche la post-modernité»