Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage

Par |2025-02-05T13:44:45+01:00 5 février 2025|Catégories : Critiques, Marie-Hélène Prouteau|

Auto­bi­ogra­phie d’un lieu 

Mona Ozouf a pré­facé cette deux­ième édi­tion de la Petite Plage, elle évoque ce lieu comme un paysage orig­inel qui ouvre un chemin mémoriel : « Marie-Hélène Prouteau établit sa fil­i­a­tion avec ce lieu-dit au fil de 26 frag­ments où elle con­voque ses sou­venirs, ses admi­ra­tions lit­téraires (…) Elle a ouvert le chemin de la mémoire. »

Ces frag­ments sont « auto­bi­ogra­phie du lieu » selon l’expression de Erri De Luca  que Marie-Hélène cite en exer­gue de son ouvrage. Auto­bi­ogra­phie d’un lieu mais aus­si  auto­bi­ogra­phie de l’auteure comme elle le révèle en page 18 : « La Petite Plage, n’en finit pas de dilater la vie, la sienne, la mienne aussi. »

« Ce paysage pre­mier » laisse des traces indélé­biles, comme un tatouage sur la peau, il mar­que aus­si le cœur et l’esprit de sa présence inef­façable : «  Cette petite plage me fait dans le cœur un tatouage d’écume » (p.17). Depuis l’enfance, en ce lieu de mer et de vent, tous les sens sont éveillés.

Si Philippe Claudel vit une pas­sion pour les lieux d’altitude, Marie-Hélène Prouteau de cette terre armor­i­caine a la pas­sion de l’Océan ; elle invite les lecteurs à la rejoin­dre en son jardin secret.  

L’écriture est en rela­tion étroite avec le lieu et pour Marie-Hélène Prouteau la petite plage est la matrice de l’écriture à venir, elle est aus­si le récep­ta­cle de futures ren­con­tres artis­tiques et littéraires.

Com­ment ayant vécu en ce lieu, ne pas être touchée par Les pêcheuses de goé­mons de Paul Gau­guin ou La vague de Hoku­sai. Devant la mer ou devant ces œuvres, ne pas être sub­mergée par «l’incroyable énergie des vagues… où le cœur se noie. » Com­ment ne pas être déchirée par le silence de l’Océan quand il est assas­s­iné par l’Amoco Cadiz, un silence  qui alors se fait «  stupé­fait, dévasté »

 Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage, suivi de Brest, rivage de l’ailleurs, édi­tions La Part Com­mune, 2024, 112 pages, 13€90.

En cette nature de terre, de ciel et d’eau domine le bleu mais aus­si beau­coup de couleurs qui éveil­lent à la beauté, à l’humanité et à « l’éternité pos­si­ble », cette éter­nité est présente dans le lavis du pein­tre He Yifu « qui a don­né la parole à l’éternité. », comme elle l’est dans la poésie de François Cheng, «  ma petite plage de sable blanc est une estampe ori­en­tale » (p.37), qui aurait été dess­inée par un pein­tre cal­ligraphe et vue par un poète cal­ligraphe en quête du vide et du beau.

Marie-Hélène Prouteau sait voir, vrai­ment voir, elle s’est approchée de l’invisible car  comme le dit un auteur qui lui est cher, Paul Celan « celui qui apprend vrai­ment à voir, s’approche de l’invisible » ( Microliti )

S’approcher de l’invisible comme ont pu le faire les tailleurs de pierre, quand le lieu se fait ancrage, qu’il devient le récep­ta­cle d’un état d’âme, et qu’ il se fait immuable ; sta­bil­ité dans un monde fluc­tu­ant, frag­ile. Un pas­sage du livre prend une tonal­ité nou­velle à l’heure de la recon­struc­tion de Notre-Dame de Paris: «  J’admire ces hommes. Ils tra­cent des lignes invis­i­bles depuis le clocher de la chapelle jusqu’aux dunes de Kerem­ma à la somptueuse nudité. Entre ce lieu créé de la main humaine et l’autre, ate­lier du ciel et de la mer, l’esprit par­le. L’on aperçoit un peu de la lumière. Le labeur de ces ouvri­ers relie ces points par la grâce d’un antique savoir. » (p.60)

Il y a des lieux comme des êtres  qui irra­di­ent l’écriture, car ils sont sources de lumière « il y a des êtres, il y a des lieux qui sont des sources de lumière. »(p.94)

 De très belles pages évo­quent ces êtres lumineux que furent sa  grand-mère ou l’oncle Paul qui a fait don de son absence…

Cette Petite Plage a don­né à la vie de l’auteure sa beauté, elle est ce que Milan Kun­dera appelle la mémoire poé­tique : «Il sem­ble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spé­ci­fique qu’on pour­rait appel­er la mémoire poé­tique et qui enreg­istre ce qui, nous a char­més, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. »  

En par­tant d’un lieu, la dimen­sion affec­tive s’élargit, l’esprit s’ouvre au monde et nous mène de la sin­gu­lar­ité à l’universel, de la représen­ta­tion d’un espace à la représen­ta­tion com­mune de d’autres lieux. Il y a pour Marie-Hélène Prouteau comme pour Ken­neth White ou Eugène Guille­vic une dou­ble géo­gra­phie, la géo­gra­phie spa­tiale et la géo­gra­phie intel­lectuelle ; l’écriture capte et l’espace géo­graphique et l’espace intel­lectuelle pour créer « un espace lit­téraire » selon Mau­rice Blanchot.

Ecrire  ce lieu de l’enfance, per­met de décou­vrir d’autres lieux ou de les inven­ter, d’aller à la ren­con­tre de lieux imag­inés ou trans­for­més par des artistes selon un triple procédé définit par Georges Perec d’esthétique, d’intériorité et de poétique.

La Petite Plage est un lieu de lumière, de mémoire, de quié­tude, un lieu d’intériorité qui ouvre au monde ; Bien réelle mais par le jeu de la dis­tance, elle devient lieu de l’imaginaire car elle est source inépuis­able de créa­tion. A la lumière de ce lieu l’auteure abor­de l’art et la lit­téra­ture. La Petite Plage est le lieu d’une iden­tité. Immuable, elle est un pont entre l’hier de l’enfance et l’aujourd’hui, elle a ouvert à l’émerveillement, à la beauté, à la vie intérieure et à l’éternité possible…

Présentation de l’auteur

Marie-Hélène Prouteau

Marie-Hélène Prouteau est née à Brest et vit à Nantes. Agrégée de let­tres. DEA de lit­téra­ture contemporaine.
Elle a enseigné vingt ans les let­tres-philoso­­phie en class­es pré­para­toires sci­en­tifiques. Elle recherche l’échange avec des créa­teurs venus d’ailleurs (D.Baranov, Les Allumées de Péters­bourg) ou de sen­si­bil­ités artis­tiques dif­férentes (plas­ti­ciens Olga Boldyr­eff, Michel Remaud…).
Seule ou avec d’autres, elle a organ­isé plusieurs con­férences, (autour de Jean-Pierre Ver­nant, Michel Chail­lou, Josyane Sav­i­gneau…). Et ani­mé des Ren­con­tres « Hauts lieux de l’imaginaire entre Bre­tagne et Loire » chez Gracq, par­ticipé aux Ren­con­tres de Sophie sur l’art et les autres.
 
Marie-Hélène Prouteau
Ses pre­miers textes por­tent sur la sit­u­a­tion des femmes puis sur Mar­guerite Yource­nar. Elle a pub­lié des études lit­téraires, trois romans, des poèmes et des ouvrages de prose poétique.
Elle écrit dans Ter­res de femmes, Terre à ciel, Recours au poème, La pierre et le sel et Ce qui reste (Let­tre ouverte à Asli Erdogan).
Son livre La Petite plage (La Part Com­mune) est chroniqué sur Recours au poème par Pierre Tan­guy. Elle a par­ticipé à des livres pau­vres avec la poète et col­lag­iste Ghis­laine Lejard. Et réal­isé Nos­tal­gie blanche, un livre d’artiste avec le pein­tre Michel Remaud.
 

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Ghislaine Lejard

Ghis­laine Lejard a pub­lié plusieurs recueils de poésie, dernières paru­tions en 2015 : Si brève l’éclaircie (ed Hen­ry), en 2016 : Un mille à pas lents (ed La Porte), 2018 a col­laboré avec 25 textes au livre de Bruno Roti­val Silence et Partage (ed Medi­as­paul, 2019 Lam­beaux d’humanité en col­lab­o­ra­tion avec Pierre Rosin ( ed Zin­zo­line). . Ses poèmes sont présents dans des antholo­gies, dans de nom­breuses revues et sur des sites. Elle col­la­bore régulière­ment pour des notes de lec­ture ou des arti­cles à des revues papi­er et des revues numériques. Des plas­ti­ciens ont illus­tré de ses poèmes, des comé­di­ens les ont lus. Elle organ­ise des ren­con­tres poé­tiques. Elle a été élue mem­bre de l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire, en 2011. Elle est mem­bre de l’association des écrivains bre­tons ( AEB). Elle est aus­si plas­ti­ci­enne, elle réalise des col­lages. Elle a par­ticipé à des expo­si­tions col­lec­tives en France et à l’étranger et a réal­isé des expo­si­tions per­son­nelles. Ses col­lages illus­trent des recueils de poésie. Elle col­la­bore avec des poètes à la réal­i­sa­tion de livres d’artiste http://ghislainelejard.com/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghislaine_Lejard Elle ani­me des ate­liers de col­lage. Elle pra­tique l’art postal, a réal­isé à Nantes et en région nan­taise des expo­si­tions d’art postal ; elle a ini­tié le con­cept de « rich­es enveloppes », asso­ciant col­lage et poésie, de nom­breux poètes y ont déjà participé.

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