Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage
Autobiographie d’un lieu
Mona Ozouf a préfacé cette deuxième édition de la Petite Plage, elle évoque ce lieu comme un paysage originel qui ouvre un chemin mémoriel : « Marie-Hélène Prouteau établit sa filiation avec ce lieu-dit au fil de 26 fragments où elle convoque ses souvenirs, ses admirations littéraires (…) Elle a ouvert le chemin de la mémoire. »
Ces fragments sont « autobiographie du lieu » selon l’expression de Erri De Luca que Marie-Hélène cite en exergue de son ouvrage. Autobiographie d’un lieu mais aussi autobiographie de l’auteure comme elle le révèle en page 18 : « La Petite Plage, n’en finit pas de dilater la vie, la sienne, la mienne aussi. »
« Ce paysage premier » laisse des traces indélébiles, comme un tatouage sur la peau, il marque aussi le cœur et l’esprit de sa présence ineffaçable : « Cette petite plage me fait dans le cœur un tatouage d’écume » (p.17). Depuis l’enfance, en ce lieu de mer et de vent, tous les sens sont éveillés.
Si Philippe Claudel vit une passion pour les lieux d’altitude, Marie-Hélène Prouteau de cette terre armoricaine a la passion de l’Océan ; elle invite les lecteurs à la rejoindre en son jardin secret.
L’écriture est en relation étroite avec le lieu et pour Marie-Hélène Prouteau la petite plage est la matrice de l’écriture à venir, elle est aussi le réceptacle de futures rencontres artistiques et littéraires.
Comment ayant vécu en ce lieu, ne pas être touchée par Les pêcheuses de goémons de Paul Gauguin ou La vague de Hokusai. Devant la mer ou devant ces œuvres, ne pas être submergée par «l’incroyable énergie des vagues… où le cœur se noie. » Comment ne pas être déchirée par le silence de l’Océan quand il est assassiné par l’Amoco Cadiz, un silence qui alors se fait « stupéfait, dévasté »
Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage, suivi de Brest, rivage de l’ailleurs, éditions La Part Commune, 2024, 112 pages, 13€90.
En cette nature de terre, de ciel et d’eau domine le bleu mais aussi beaucoup de couleurs qui éveillent à la beauté, à l’humanité et à « l’éternité possible », cette éternité est présente dans le lavis du peintre He Yifu « qui a donné la parole à l’éternité. », comme elle l’est dans la poésie de François Cheng, « ma petite plage de sable blanc est une estampe orientale » (p.37), qui aurait été dessinée par un peintre calligraphe et vue par un poète calligraphe en quête du vide et du beau.
Marie-Hélène Prouteau sait voir, vraiment voir, elle s’est approchée de l’invisible car comme le dit un auteur qui lui est cher, Paul Celan « celui qui apprend vraiment à voir, s’approche de l’invisible » ( Microliti )
S’approcher de l’invisible comme ont pu le faire les tailleurs de pierre, quand le lieu se fait ancrage, qu’il devient le réceptacle d’un état d’âme, et qu’ il se fait immuable ; stabilité dans un monde fluctuant, fragile. Un passage du livre prend une tonalité nouvelle à l’heure de la reconstruction de Notre-Dame de Paris: « J’admire ces hommes. Ils tracent des lignes invisibles depuis le clocher de la chapelle jusqu’aux dunes de Keremma à la somptueuse nudité. Entre ce lieu créé de la main humaine et l’autre, atelier du ciel et de la mer, l’esprit parle. L’on aperçoit un peu de la lumière. Le labeur de ces ouvriers relie ces points par la grâce d’un antique savoir. » (p.60)
Il y a des lieux comme des êtres qui irradient l’écriture, car ils sont sources de lumière « il y a des êtres, il y a des lieux qui sont des sources de lumière. »(p.94)
De très belles pages évoquent ces êtres lumineux que furent sa grand-mère ou l’oncle Paul qui a fait don de son absence…
Cette Petite Plage a donné à la vie de l’auteure sa beauté, elle est ce que Milan Kundera appelle la mémoire poétique : «Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui, nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. »
En partant d’un lieu, la dimension affective s’élargit, l’esprit s’ouvre au monde et nous mène de la singularité à l’universel, de la représentation d’un espace à la représentation commune de d’autres lieux. Il y a pour Marie-Hélène Prouteau comme pour Kenneth White ou Eugène Guillevic une double géographie, la géographie spatiale et la géographie intellectuelle ; l’écriture capte et l’espace géographique et l’espace intellectuelle pour créer « un espace littéraire » selon Maurice Blanchot.
Ecrire ce lieu de l’enfance, permet de découvrir d’autres lieux ou de les inventer, d’aller à la rencontre de lieux imaginés ou transformés par des artistes selon un triple procédé définit par Georges Perec d’esthétique, d’intériorité et de poétique.
La Petite Plage est un lieu de lumière, de mémoire, de quiétude, un lieu d’intériorité qui ouvre au monde ; Bien réelle mais par le jeu de la distance, elle devient lieu de l’imaginaire car elle est source inépuisable de création. A la lumière de ce lieu l’auteure aborde l’art et la littérature. La Petite Plage est le lieu d’une identité. Immuable, elle est un pont entre l’hier de l’enfance et l’aujourd’hui, elle a ouvert à l’émerveillement, à la beauté, à la vie intérieure et à l’éternité possible…