Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets
Marais secrets
Le marais est une belle matière poétique. Monde entre deux mondes (la terre et l’eau), il confine par définition au mystère au point d’être considéré, notamment du côté des Monts d’Arrée, en Bretagne, comme l’une des portes de l’enfer. Les poèmes de Marie-Josée Christien et les photographies de Yann Champeau se font brillamment l’écho, dans un superbe album à quatre mains, de ce halo de mystère qui entoure les marais.
On connaissait les poèmes de Xavier Grall sur les marais de Yeun Elez (où « crient les landes à minuit ») ou ceux de Gérard Le Gouic dans son livre Les marais et les jours parlant de ces marais qui s’étendent « à perte de mémoire ». Il faudra désormais ajouter à ce panthéon poétique des marais les textes de Marie-Josée Christien et les images de Yann Champeau. C’est l’image qui est première dans cet album. Le poème vient s’adosser à la photographie, la décrypter et susciter un écho sous formes d’aphorismes, de courtes pensées, voire de méditations. « Le marais/ est-il le seuil/de la vie/ou de la mort ? », interroge la poète.
Dans le viseur du photographe, il y a toutes les facettes du marais, celles scintillantes des reflets d’un soleil couchant, celles sombres et inquiétantes de tourbières encombrées de branches mortes. Dans cet univers de sphaignes, de bruyères, d’aulnes et d’osiers, de joncs ou de genêts, le colvert et la corneille s’ébrouent à l’aise.
Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets, Les Editions Sauvages, 120 pages, 29 euros.
Dans ses poèmes, Marie-Josée Christien nomme tous ces mots caractérisant le marais que Yann Champeau transfigure dans d’éblouissantes et parfois énigmatiques photographies. Du grand art comme cela était déjà le cas dans Constante de l’arbre (Les Editions Sauvages, 2020) et Quand la nuit voit le jour (Tertium éditions, 2015), deux précédents livres des deux auteurs.
Les marais décrits ici sont anonymes même si, subrepticement, nous sommes conduits vers des lieux emblématiques de la Bretagne sans qu’ils soient jamais nommés. « Sur le mont lointain/une vigie se dresse/flèche de lumière/entre terre et nuages//comme une présence/qui mendie l’éternité », écrit Marie-Josée Christien les yeux rivés vers le mont Saint-Michel de Brasparts et les pieds dans les marais de Yeun Elez. Mais le plus important demeure la capacité à nous éblouir sur des lieux « ordinaires » qui ne relèvent jamais du cliché de carte postale. « La bruyère s’embrase/la lumière se répand ». Ailleurs, voici un « essaim d’iris », un « monde des molécules » qui « se lit à cœur ouvert » ou encore une tourbière, « retable humide ».
Dire le beau (en images et en poèmes) à partir de réalités frustes, c’est le pari réussi des deux auteurs. Il faut dire que le marais « consent/à de brusques métamorphoses ». On passe ainsi, insensiblement, du plus sombre au plus lumineux, du plus inquiétant au plus rassurant, au point que le marais peut même devenir un lieu de transfiguration ou, pour le moins, à même de répondre à une forme de quête spirituelle. « On marche/comme on prie/dans l’apesanteur des sèves/et l’escapade des genêts », écrit Marie-Josée Christien. Le marais questionne. Il peut conduire le poème à dire l’indicible.