Marie Murski, Ailleurs jusqu’à l’aube

Par |2025-02-05T14:52:32+01:00 5 février 2025|Catégories : Critiques, Marie Murski|

Les édi­tions Les Hommes sans épaules pub­lient l’ensemble des poésies de Marie Murs­ki, poétesse sin­gulière d’origine polon­aise qui vit actuelle­ment en Bre­tagne, et dont l’œuvre d’une grande sen­si­bil­ité est ici réu­nie, depuis Pour chang­er de Clarté, paru en 1977, sous le nom de plume de Marie-José Hamy, suivi par Le Bleu des rois (1983), Si tu ren­con­tres un précipice (1988), La Baigneuse, et enfin Le Grand Imper­méable.

Marie Murs­ki a rejoint le comité de rédac­tion des HSE en 1989, avant de dis­paraître pen­dant qua­torze ans de la scène lit­téraire. Elle réap­pa­raît en 2007, reprend son nom de jeune fille, et pub­liera notam­ment un réc­it, Cris dans un jardin. Nous ne revien­drons pas ici sur la vio­lence con­ju­gale subie par Marie Murs­ki, qui est rap­pelée par Christophe Dauphin dans sa pré­face. Mais l’enfance trau­ma­tisée, « l’enfance à la mine de plomb » est déjà présente dans les recueils qui précè­dent chronologique­ment la fatale rencontre.

Car la poésie de Marie Murs­ki est un jardin, c’est-à-dire un lieu changeant ou s’expriment toutes les saisons de poésie, un lieu de vie, et un lieu de mort. Je pense en la lisant aux roseraies d’Apollinaire d’Automne malade, où le vent souf­fle, aux verg­ers vénéneux, où il a neigé ; chez Marie Murski,

L’automne est en sursis

Lèvres fendues en leur milieu
puis ouvertes en vol d’hirondelles
se par­jurent d’onguents cireux
nom­més rouge sang dans les couloirs de la mort.

Marie Murs­ki, Ailleurs jusqu’à l’aube, Les hommes sans épaules, 2019, 20 euros.

Le jardin de Marie Marie Murs­ki est un jardin intime où s’épanouissent -  et avor­tent par­fois — d’étranges images qui rap­pel­lent celles d’André Bre­ton ou de Philippe Soupault. C’est un jardin où se rejoue, se recom­pose en per­ma­nence, un drame per­son­nel. La poète rebat les cartes et remod­èle son territoire.

Ce jardin est aus­si le lieu où se pressent l’intrusion, où la vio­lence n’est jamais très loin :

 

Déci­sive cette main qui déshabille
qui se taille la part du lion
et cra­chote dans mes crocus 

 

Mais on y trou­vera aus­si un éro­tisme flo­ral qui prend le temps de s’épanouir, notam­ment dans le recueil La Baigneuse :

 

laiss­er la légèreté
dans son plaisir
la lenteur du fruit
autour du noyau 

 

La poète nous livre une anatomie intime, à tra­vers les images d’un corps-jardin, qui devient par­fois un corps-paysage, et aus­si un corps-mémoire :

Cer­tains nuages restent
sous la peau 

Mais le jardin de Marie Murs­ki est aus­si un lab­o­ra­toire, un lieu de renais­sance et de re-créa­tion, dont l’enchantement procède d’une ani­ma­tion vire­voltante, par­fois éper­due, d’abord parce que c’est un lieu habité de présences, un bes­ti­aire dont la poète entend l’appel ambivalent :

Le rêve a ses raisons
des raisons de loup dans une forêt verte

Et si je cours sans cesse
c’est pour pass­er sans regarder
les petites têtes hilares
qui partout
jail­lis­sent des troncs d’arbres 

Des voix tan­tôt harce­lantes, tan­tôt consolantes.

Inlass­able­ment la poète est

 

Dragueuse d’infini
por­teuse d’eau dans le com­bat des heures

 

on ne compte plus ses incar­na­tions, « toupie » (rêve d’un mou­ve­ment per­pétuel ?), ou lut­teuse qui ne souhaite pas « mourir gen­ti­ment », et qui oppose à la fix­ité glaçante de la mort la vir­tu­osité du verbe. Déjà, enfant, elle « tour­nait à l’envers ». N’est-ce pas la voca­tion du poète d’aller con­tre la rota­tion habituelle du monde ?

Le jardin est juste en-dessous du ciel, comme chez Ver­laine le ciel est par-dessus les toits. On lira aus­si des poèmes plus con­tem­plat­ifs comme celui qui est dédié à Hubert Reeves, où la poète « chavire en boule de ver­tige ». Sage-femme de son méti­er, Marie Murs­ki accouche aus­si les étoiles :

Au-dessus il y a les étoiles
qui sont mes sœurs on le dit et c’est vrai
nous avons le même ven­tre dur
fécond dans l’éternité 

Nous l’avons dit, le jardin de Marie Murs­ki est un jardin vio­len­té, un jardin saccagé, et pour­tant, par la puis­sance du lan­gage, elle fait enten­dre, dans des poèmes par­fois dif­fi­ciles, une voix dont les échos réson­nent longtemps en nous, s’enracinent douloureuse­ment dans la sen­si­bil­ité du lecteur, y plon­gent des racines écorchées, à vif, palpitantes.

La poésie a sauvé la vie de Marie Murs­ki, qui ne cesse de « vider ses poches », comme le petit Poucet rêveur de Rim­baud égrenant des vers. Et en effet, l’appel d’un départ se fait enten­dre souvent :

Par­tir vraiment
comme un pied qui s’écarte du continent.

Voici pour l’ailleurs.

Et pour ter­min­er, je cite inté­grale­ment le mag­nifique poème qui ter­mine le recueil Si tu ren­con­tres un précipice, où la mort est évo­quée dans un élan nuptial :

 

Qu’elle vienne
au galop comme dans les ter­res dangereuses
ou patientes comme les filets d’oiseleur,
mais
que son ombrelle ne soit pas tranchante
aux abor­ds de mes yeux
qu’elle sache avec délicatesse
ôter la bulle d’air enroulée à mon doigt
qu’elle m’enserre doucement
dans son sim­ple éclair 

Voici pour l’aube.

Présentation de l’auteur

Marie Murski

Sage-femme de méti­er, invitée dans l’émission « Apos­tro­phes » de Bernard Piv­ot et rédac­trice d’une revue lit­téraire jusqu’en 1990. Séquestrée 14 ans par un homme per­vers et vio­lent, elle cessera de tra­vailler et d’écrire. Sauvée de justesse, elle pub­lie en 2013 un roman, Le chat silence. Puis Cris dans un jardin qu’elle écrit aus­si pour le théâtre et Le bébé d’Adèle, Prix Reine Mathilde 2017. Paraît en févri­er 2019 Ailleurs jusqu’à l’aube, œuvre poé­tique, et en mars Les orchidées volantes, roman. 

Bibliographie

Poésie

Pour chang­er de clarté, Édi­tions Saint-Ger­­main-des-Prés, 1977.

Le bleu des rois, Col­lec­tion La Coïn­ci­dence, Édi­tions Guy Cham­bel­land, 1980.

Si tu ren­con­tres un précipice, Édi­tions Saint-Ger­­main-des-Prés, 1988.

La Baigneuse, La Française d’Édition et d’Imprimerie, 1989.

Ailleurs jusqu’à l’aube, 2019, Œuvre poé­tique, pré­face de Christophe Dauphin, Les Hommes sans Épaule Éditions.

 

Œuvres en prose 

Le Chat silence – roman – 2013, Édi­tions La Taillanderie.

Cris dans un jardin – témoignage – 2014 Édi­tions Cog­i­to – Réédi­tions : 2015, 2016, Édi­tions S‑Active – Réédi­tions : 2018.

Le bébé d’Adèle – thriller – 2017, Édi­tions Cogito.

Les orchidées volantes – roman – 2019, Édi­tions In8.

Mila de nulle part – thriller – 2021, Édi­tions In8.

 

Nou­velles

Le chien jaune avait une oreille cassée  – 2017.

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Vincent Puymoyen

Vin­cent Puy­moyen est né en 1970 à La Rochelle et enseigne actuelle­ment à Brest, sa ville d’adoption. Avec la poésie, ses pro­jets actuels con­cer­nent actuelle­ment le roman noir, et le réal­isme mag­ique, il tra­vaille égale­ment à un cycle de réc­its met­tant en scène un enquê­teur mené moins par sa rigueur pro­fes­sion­nelle que les limbes de son incon­scient. Poésie Anatomies bur­lesques, dans la Revue lit­téraire, édi­tions Léo Scheer, numéro 76, jan­vi­er 2019 « Con­ju­gale embardée » et autres poèmes dans la revue en ligne Le recours au poème, n°204, sep­tem­bre 2020 Flaques océaniques, Encres blanch­es n°807, Encres vives, jan­vi­er 2021 « Effrac­tion du print­emps » dans la revue Poésie pre­mière, n°80, sep­tem­bre 2021 Hautes fréquences, Encres blanch­es, Encres vives, décem­bre 2022. Roman Cycle de romans policier/réalisme mag­ique « les enquêtes de Gonzo », aux édi­tions Ova­dia 1. Le car­ré par­fait, édi­tions Ova­dia, avril 2023 2. Le manoir, édi­tions Ova­dia, avril 2023 3. Con­stance ou le ver­tige, édi­tions Ova­dia, novem­bre 2023

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