Marie Noël

Par | 8 mars 2013|Catégories : Blog|

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Marie Noël

Par | 8 mars 2013|Catégories : Essais|

« Il y a dans le catholique un être sat­is­fait, supérieur – celui qui pos­sède la vérité – plein de sécu­rité et de cer­ti­tude. C’est en quoi je suis mal catholique », écrit Marie Noël dans ses Notes intimes. Et voilà qu’on en fait « la » poète catholique ! Y aurait-il un malen­ten­du autour de cette femme, de cette œuvre ?
Marie-Mélanie Rouget naît à Aux­erre en 1883. Son enfance est sans his­toire : un père agrégé de philoso­phie, stoï­cien aus­si incroy­ant que sa mère est pieuse. Le décor est posé dans lequel va croître une voca­tion poé­tique authen­tique, mais aus­si se jouer un drame. Un corps frag­ile à l’épreuve de la mal­adie, un cœur brisé surtout : si l’amour meurt d’inanition ou de satiété, celui de Marie Noël a souf­fert du désir ardent et inexaucé.
Tant de poèmes lais­sent percer la plainte de la fille sans beauté, de l’amoureuse écon­duite, et l’effort surhu­main pour ne pas en garder ran­cune ni amer­tume ; la vie en lisière du bon­heur des autres, la dérélic­tion : « Par­fois j’ai telle­ment besoin d’un ami que je l’invente. »
Les mots et la musique vont trans­fig­ur­er la pous­sière des jours. Son oncle Raphaël Péri­er décou­vre son tal­ent, l’encourage, puis l’abbé Mug­nier, le célèbre con­fesseur mondain, et Hen­ri Bré­mond, le cri­tique en quête de la « poésie pure », vont attir­er l’attention sur elle.
Mon­ther­lant dira même : « C’est le plus grand poète vivant. » Nous sommes loin du poète de province, de l’imagerie pieuse auquel son pseu­do­nyme incline un peu. Ce qui frappe lorsqu’on avance sur ce ter­ri­toire secret, c’est le dou­ble vis­age : d’une part, la gaminer­ie angélique, l’enfance jamais reniée, son sens du jeu, de l’allégresse ; et d’autre part, le « génie noc­turne ». La plainte des Chan­sons d’automne, les cris et les illu­mi­na­tions des Notes intimes en don­nent un écho. Dans l’épreuve, Marie Noël chante comme un enfant qui a peur du noir ; elle avance à tâtons mais résol­u­ment ; à la révolte devant le mal (Dieu sait si la mort d’un enfant lui a fait touch­er le dés­espoir), au blas­phème, elle oppose la foi et l’espérance, l’ardente char­ité qui prend soin d’autrui, aus­si ingrat soit-il. Le com­bat de Jacob avec l’Ange est sou­vent le sien, même en poésie, elle qui avoue qu’elle n’y « con­naît plus ni Dieu ni Maître ».
Sous ses dehors mod­estes, Marie Noël a mené une aven­ture mys­tique ; elle a con­nu le désert, l’aridité spir­ituelle et l’enfance retrou­vée en larmes et en joie. Reliée à elle-même, aux autres, à Dieu, elle dévide le livre d’heures : sa prière chante de matines à com­plies. Sans jamais renier la fragilité ni la rébel­lion, elle choisit de plonger en espérance, en amour fou.
Son écri­t­ure remonte à la source, celle de la poésie médié­vale – chan­son de toile et reverdie. L’air de ne pas y touch­er, elle joue avec les mètres les plus divers. L’aisance sou­veraine du poète, maître de son instru­ment, lui per­met d’allier la forme clas­sique au vers libre. Elle dia­logue avec Dieu comme avec elle-même. Elle aime les refrains, bal­anciers qui équili­brent la danse du funam­bule en haut du fil ten­du entre les maisons du village.
Aller vers Marie Noël, aujourd’hui, c’est se laiss­er envahir par une présence, en qui rien ne pèse ni ne pose, mais qui nous aime et nous com­prend. Elle chante haut, mais jamais fort. Elle déteste ceux qui s’étalent : « J’ai hor­reur de l’incontinence sen­ti­men­tale des gens qui font tout leur cœur sous eux. Mon cœur, je n’en par­le pas. Je le tais ou je le chante » (Notes intimes).
On oublierait l’essentiel ou presque si on ne par­lait de son humour, de ce sens de l’observation féroce et de cet esprit acéré auquel elle a renon­cé volon­taire­ment pour ne pas bless­er, con­ver­tis­sant son regard, optant pour la bien­veil­lance infinie et la mis­éri­corde. « L’histoire de ma vie, c’est l’histoire de mon âme », écrivait-elle.
Une vie « unie » mais brisée, dis­jointe comme les pavés iné­gaux d’Auxerre sur lesquels elle se hâtait pour porter assis­tante aux plus hum­bles, qui la fai­saient trébuch­er, elle l’infatigable, la marcheuse s’en allant percevoir les loy­ers, véri­fi­er le bon état des murs, assis­ter les mourants ; aide human­i­taire sans fra­cas, vie dans l’ombre alors qu’elle aurait aimé danser, elle aus­si, au soleil.
Pas belle, mal aimée, mais unique aux yeux de Dieu, bien aimée du Can­tique, poète de haute volée. Dépourvue de tout, à com­mencer du temps pour écrire, tant la famille l’enfermait dans son car­can d’obligations, elle a réus­si à se laiss­er « emmusi­quer », à bâtir une œuvre orig­i­nale, frémis­sante et maîtrisée.

Con­nais-moi

«Con­nais-moi si tu peux, ô pas­sant, connais-moi !
Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire !
La pous­sière sans nom que ton pied foule à terre,
Et l’étoile sans nom qui peut guider ta foi.
Con­nais-moi si tu peux. Le pour­ras-tu ?… Le puis-je ?…
Tu le sauras si rien qu’un seul instant tu m’aimes !»

 

Extrait du recueil Les Chan­sons et les Heures, Poésie/Gallimard.

 

Prière pour les gens pressés

«Donne de quoi chanter à moi pau­vre poète,
Pour les gens pressés qui vont, vien­nent, vont
Et qui n’ont pas le temps d’entendre dans leur tête
Les airs que la vie et la mort y font.»

Prière de Marie Noël dans les Chan­sons et les Heures, Poésie/Gallimard.

 

Ce texte a paru le 21 juil­let 2005 dans La Vie n° 3125
 

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