J’aime les quatrièmes de couverture qui disent tout sans rien en dévoiler. Qui ne font qu’attraper le lecteur par le mystère. “Assumer par le poème la disparition de l’écriture cursive et la mise en écran du monde, il le faut au moment où meurt la mère qui vous a enfantés : ne pas revenir est la règle du vaisseau.” Tout un programme alléchant pour qui aime les mots, avec ce nouvel ouvrage publié par les éditions l’Arbre à paroles, avec en couverture une illustration mystérieuse de Benjamin Monti.
Même si parfois le lecteur peut se sentir dérouté (mais n’est ce pas le propre d’un voyage réussi ?), le vaisseau dans lequel Marie-Noëlle Agniau nous emmène est d’une inventivité rare qu’il faut absolument signaler.
Une double disparition donc, avec toujours la notion de voyage et de nombreux allers-retours entre matériel et immatériel. A commencer par la contrainte sous laquelle sont placés tous les poèmes : débuter tous par “Est une infrastructure”. Vaisseau de la vie au départ du port “Est une infrastructure construite par l’homme, situé sur le littoral maritime, sur les berges d’un lac ou sur un cours d’eau, et destiné à recueillir bateaux et navires”. Vaisseau-mère en traversée.
Le voyage c’est aussi l’écriture, des lettres, des récits, des journaux de bord, on retrouve un peu de tout cela dans cet ouvrage. L’écriture comme une attelle au quotidien. Quant à l’écriture manuscrite, “Nous avons cessé d’être habiles. Tenir un stylo. Nous écrivons mal. Et maladroit. Le contour des lettres. Nous ne savons plus. Quoi faire. Les lettres. Paniquent. Ou main. Les trois doigts. Crispés comme bouche apprend à téter.”
Alors passer à l’ordinateur : “Est une infrastructure. Construite par l’homme. L’opération secrète du cerveau a fini de former des lettres entre trois doigts. Il pleut des touches. Des petits bruits de ressort. Sous les touches. Les bruits que nous formons. Ça glisse. On ne l’entend pas.”
Et s’interroger sur la portée de ce choix “Les lettres flottent. Égales. Nos yeux les voient toutes. Et le cerveau connecte. Très vite. Les lettres ne se forment plus. Avec la même incidence. Le même petit bruit très rapide des ressorts sous les touches. Elles apparaissent. Disparaissent. Entre les touches. La poussière. La pulpe des doigts. Ronde. Dynamique. La douleur détruit la langue : là.”
Et plus loin page 59 : “Je me démets de ma main. Je donne la main à des machines. Elles sont ma main. Et mes doigts. Elles œuvrent pour moi. Elles sont la main. Et les trois doigts et tous les autres. Une main tactile comme un écran. Je rends ma main. Je n’en ai plus besoin. Sa lenteur. Sa lenteur de main. Je la rends. Je la donne à la machine.”
Marie-Noëlle Agniau fait preuve de beaucoup d’inventivité dans cet ouvrage incomparable (mais le poète ne se doit-il pas d’être incomparable ?). Il est plaisant de voir ainsi qu’il existe encore de nouvelles façons d’écrire la poésie. Je ne serais pas étonné de voir cette auteure née en 1973 éditée à l’avenir dans la prestigieuse collection Poésie-Flammarion.
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