Petit livret, grand livre. Encore une fois, après La dernière œuvre de Phidias, Marilyne Bertoncini fait appel à la dimension mythique pour dire la condition humaine. Aeon est le nom latin du dieu du temps dans la mythologie romaine. Eon était pour les phéniciens le dieu du temps éternel. Elle a ajouté le mot onde. Poésie du franchissement, hantée par les miroitements, reflets où se dérobe la quiétude et se lit le combat perdu Vae Victis Vae Tibi. L’ange sombre AEONDE (cependant figure féminine : fatale semeuse) n’a de cesse d’altérer la perception de soi, les miroitements se troublent, les images convoquées disent alors l’acharnement du combat et la fatale défaite.
La précision des évocations entraîne le lecteur dans un univers où la beauté se fait figure de résistance. La poésie, elle seule, rend supportable la traversée de ces allées jonchées de mains coupées. Le jardin opère dans le recueil comme une figure topique du poème, seul lieu où se mouvoir et respirer. Ces vers avec cette grive (métaphore de la poète) qui frotte/ de la pointe du bec/ les écailles rouillées de la grille fermée sont bel et bien art poétique. A la pureté des vers se lie la musique des poèmes (extrêmement travaillée) (Haendel est cité en liminaire), les sonorités des vers suivants expriment la folle férocité de la lutte, les martèlements sourds et implacables du temps :
se retirent et s’affrontent
béliers en combat sans issue froissant
leur chair de glace crissant
sous les chocs.
Mais Aeonde n’est pas cruelle même si les tourments qu’elle inflige sont infinis. Elle-même ne connaît ni la paix ni le pouvoir de guérison. Là est la force de la poète, de convoquer l’empathie pour la transmuer en ultime refuge (peut-être) de l’amour car il ne saurait disparaître dans la chute inéluctable :
Les ailes repliées
Aeonde au jardin pleure
et mon âme accablée est couchée à ses pieds.
Oui, Aeonde la douloureuse est la muse de Marilyne Bertoncini et aussi désespérée la condition humaine soit-elle, la force créatrice seule préserve du chaos.
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