De l’auteure, on apprend en lisant la 4e de couverture de ce recueil qu’elle « est née dans les Flandres (sur une frontière – ce qui prédispose sans doute à certaines rêveries de passages) et qu’elle partage sa vie entre Nice et Parme, après avoir enseigné la littérature, le théâtre et la poésie (…) » et qu’elle est photographe, traductrice et poète. Pour plus de renseignements surfer sur son blog « où dialoguent textes et photos » : http://minotaura.unblog.fr.
De Phidias, fils de Charmidés, artiste statuaire d’Athènes au Ve siècle avant Jésus-Christ, (objet principal de ce recueil à la fois érudit et intuitif) que sait-on au juste ? Presque rien. Si ce n’est – et non des moindres informations – qu’il est l’auteur des frises du Parthénon, de la colossale statue d’Athéna, du Zeus chryséléphantin d’Olympie (7e merveille du monde) et qu’il fut « pour de sombres raisons politiques, jeté en prison, puis exilé à Olympie » p. 4. Et lorsque l’auteure note que l’on disait de lui « qu’il était le seul à connaître l’image des dieux et qu’il la révélait aux hommes par ses sculptures », nous tressaillons. Du fond de notre mémoire assoupie affleurent et s’imposent alors des suites d’équations et autres termes compliqués (pour soi) de mathématique, de géométrie dans l’espace.
« Phi-dias ! Phi-dias ! » Marilyne Bertoncini apostrophe Phidias (en détachant bien les deux syllabes : un indice ?) via la voix d’un enfant qui appelle le sculpteur « chantante et pure et claire / la voix d’un enfant s’élève dans le soir / et les deux syllabes de ton nom s’élancent – (…) » p.4, afin de convoquer la personne même du sculpteur dans l’ici & maintenant. (…) « au fil de la voix qui chantonne » l’attention de Phidias est magiquement captée et « enfin tu t’es pris / et lent lentement tu remontes / de l’ombre de la mer / vers la maison.
Voix, cadence, rythme de l’appel en deux temps, pas lents et mesurés de Phidias s’approchant, tout en effet, en cette prose poétique immensément musicale de l’auteure participe de ce surgissement du sculpteur hors de l’ombre des profondeurs marines, en mouvement vers la maison. Ces derniers termes allusifs (topologie côtière / présence d’un foyer / figures vagantes…) ne sont pas posés ici de manière anodine mais charrient aussi des accents et autres bribes issus de récits bibliques, de mythes, contes et légendes où errent « tous ces fantômes sidérés / arrêtés au vif d’un mouvement / (…) Momies de Pompéi / (…) la femme de Loth / la Méduse / Orphée… », p.6.
Et nous nous prenons également à ce jeu qui consiste à aider l’auteure à rechercher Phidias. Nous nous questionnons et nous rendons à l’évidence que nous ne savons effectivement pas grand-chose de plus sur lui. À moins que… Nous réfléchissons encore et après avoir fait passer le texte dans le gueuloir1, à la troisième, puis à la quatrième lecture du recueil réapparaissent ces fameuses séries numériques.
De la bibliothèque consultée pour la seconde fois, tombe alors un livre dans nos bras accueillants, tel un signe en écho à l’interrogation de l’auteure : « Phidias / te prendras-tu au piège / des signes que je trace / mailles d’encre tissées à l’heure où je disparais / hantée de choses indistinctes / qui s’entremêlent se confondent » p. 4.
Signes et choses indistinctes, entremêlées et confondues, c’est cela même. Mais allons plus loin, poussée, « hantée » par la voix de l’auteure, de l’enfant, et des réminiscences de ces leçons de mathématique, torture d’antan.
Et le livre s’entre ouvre comme celui du poète, Paul Valéry, jadis, sous la brise régnant au « cimetière marin ». Au fil de certaines pages, autrefois tant consultées qu’elles en gardent une trace dans cette cassure de la tranche – surgissent alors les figures principales des présupposés indices à cette quête / enquête : la façade de l’œuvre majeure de Phidias, le Parthénon, que nous examinons une fois encore pour découvrir avec le même ravissement qu’hier les éléments qui le composent et se déclinent en termes d’harmonie. Puis est divulgué le secret des roses à l’élégance délicate grâce à la disposition des pétales. Et, le voile du mystère que cache le sourire le plus célèbre de l’Histoire de l’art est-il vraiment levé, lorsqu’on envisage une solution géométrique à l’énigme, par superpositions de plusieurs rectangles sur le visage de la belle « Joconde » ? Un autre paragraphe fait alterner les « nombres irrationnels » et les « suites numériques », Phidias et De Vinci ; roses et tournesols : un authentique « monde d’or » dont l’étude détaillée commence par son origine : le nombre… Le livre abandonné pour un temps, Wikipédia confirme notre intuition : « Comme la plupart des autres lettres grecques, le « phi » est parfois utilisé en dehors de son contexte alphabétique grec dans les sciences. Par exemple, en mathématiques, elle note traditionnellement le « nombre d’or » (1+√5)/2, soit environ 1,618 ».
Nous revenons au recueil de Marilyne Bertoncini pour nous rendre à l’évidence que nulle part n’est évoqué ouvertement : ce fameux nombre d’or. Mais implicitement, il chemine – divinement libre, au cœur de l’aussi libre versification de l’auteure, comme le lierre accroche-cœur, comme « dans la subite concrétion – insectes noyés dans l’ambre / ammonites serties au cœur du bloc calcaire / (…) », p. 5.
« Il est étonnant de constater que ce modeste nombre a fasciné tout au long de l’Histoire (…). Durant des siècles, il reçut les appellations les plus nobles : « le nombre d’or » ; « la proportion transcendantale » ; « le nombre divin » ; « la divine proportion », etc. Le nombre d’or, représenté par la lettre grecque (phi), a des propriétés numériques incroyables, mais également des liens insoupçonnés avec la nature et les créations humaines »2.
Phidias était-il donc en quête de « beauté et de perfection » introduite par ces deux concepts complexes qui ébranlèrent l’humanité et promue à une quête universelle ? Marilyne Bertoncini serait-elle par conséquent, elle aussi, en quête de ce même élan pouvant donner une réponse tangible à ce que recherchait précisément Phidias au-delà du « faire » sculptural ? De ce que rechercherait tout artiste ?
Via un grand écart in / temporel intuité et tant que tournera le monde, les penseurs & autres chemineaux, « frontaliers » (ainsi que l’auteure se définit) étayeront leurs recherches comme ici par des citations particulières3, celles de l’Odyssée, des Fragments d’Héraclite, entremêlées à des paroles intimes qui subliment cette quête pour trouver Phidias en des ailleurs traversiers : « Ici / où je cherche Phidias / sous le blanc de la page / dans l’évanescence de l’écran / béant son vide / c’est Ostende / peut-être / ou Brighton (…) p. 7.
Saint Thomas d’Aquin4 posait que « Les choses qui sont dotées de proportions correctes réjouissent les sens ». Comme la coquille d’escargot (à la spirale logarithmique) ; les bras des galaxies ; la disposition des pétales de rose ou des graines de tournesol… Il en est de même de la conception des œuvres monumentales, sculpturales qui sont elles aussi et par voie de conséquence : « langage mathématique de la beauté ».
Un dernier indice nous est finalement suggérée par Marilyne Bertoncini sous forme d’une hypothèse en réponse au cheminement avec le compagnon, Phidias, qui nous semble peu à peu devenu si proche que nous croyions au fil de la lecture un peu mieux le connaitre, mais ceci aussi n’est qu’évanescent pré-texte, car : « Un soir / On attendit en vain / le retour de Phidias / (…) Les ombres s’évaporent avec l’odeur des roses / Sur l’arbre / une cigale / cisèle le silence ». p. 14.
Et de cette absence, de ce silence au cœur de l’œuvre sculptée que pourrait-il encore jaillir que nous n’aurions pris garde de reconnaitre ? Sous les mains de l’artiste, Phidias sculptant, peut-être cette apparition : « Déesse / me voici / j’ai enfin sculpté / ton absence / flottant sous le ciseau / longtemps ton sourire / m’a fui / Mais j’ai reçu la marque / celle que l’on cache / sous l’or et les fards / je porte ton signe / je t’appartiens / j’ai entendu / vibrer / l’appel / du vide » ?
Et nous lecteurs, nous restons à l’écoute des paroles émises par Marilyne Bertoncini via celles évoquées / invoquées dans ce recueil et qui portent la marque « du double exil de ceux qui crurent / que sous leurs parures d’or / les dieux écoutent / les humains ».
Destins humains : singuliers et universels. Sans dieu ni maître ? Dans un geste que Kant pour sa part aurait sans doute décrit de la sorte : « il faut respecter l’humanité comme une fin : ce qui n’est pas universalisable doit donc être refusé » ou encore tel que Montaigne l’entendait lorsqu’il distinguait le « but » qu’il est bon d’atteindre, de la « fin », symbole de liberté et de plénitude : « il faut arriver à soi et jouir de la vie. Quand je danse, je danse ». Marilyne Bertoncini quant à elle : pense, écrit, se déplace et poétise, et elle réalise ici sans nul doute ce que la « poïétique » induit : l’étude de potentialités inscrites dans une situation donnée qui débouche sur une « création nouvelle » et, conséquemment, elle partage son expérience singulière qui devient universelle.
« La dernière œuvre de Phidias » serait-elle celle de la légendaire statue d’Athéna5 ? Ou bien encore ce visage… ? Le mystère subsiste. Peut-être est-ce mieux ainsi. Toujours est-il que le recueil de Marilyne Bertoncini est une invitation au voyage pluriel, géographique et mental, mais aussi au cœur de la matière du – carrare et du porphyre – ces marbres antiques, où le sculpteur à la force de son art appliqué tente d’arracher au matériau si dur les traits doux d’un visage divin, tandis que la poète trouverait la sublimation de son inspiration, illustrée par la « manière de [ses] vers »6 consentie à dé livrer un poème animé et palimpseste, adressé à Phidias, ce compagnon intemporel, à la fois « si proche et si lointain »7, toujours en marche pour trouver :
« Dans l’ilot clair découpé par la lampe / au creux de la ténèbre où ma pensée te cherche / Je trace la caresse / de ton nom ».
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Notes :
1 Source : omnilogie.fr le manuel des castors seniors par Menaer. « Les lecteurs de Gustave Flaubert connaissent l’harmonie qui se dégage de ses textes : une prose à la limite du poétique, sans rimes ni pieds mais pleine de nuances et de subtilités. Chaque phrase est patiemment construite, articulée pour faire passer un message clair et riche de sens sans trébucher sur des mots qui briseraient le rythme de la phrase et du récit. Chacune des actions décrites par Flaubert est une photographie, un art proche du fantastique qui consiste à relater avec les mots les plus appropriés un panorama grandiose ou une scène importante ».
2 Extrait de la préface de l’ouvrage, Le nombre d’or par Cédric Villani, collection Le monde est Mathématique.
3 Dans le recueil, La dernière œuvre de Phidias les citations sont placées en italique, à droite des textes de l’auteure et ici également laissées en italique, à deux reprises.
4 (1225–1274).
5 « Pour l’île de Lemnos » page 2 du recueil.
6 Rainer Maria Rilke, (La manière de vos vers) in Lettre à un jeune poète, datée du 17 février 1903.
7 Hölderlin.
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