Introduction et traduction de Miguel Ángel Real
La poésie de Marina Casado s’inscrit dans une recherche à travers un monde dans lequel le rôle des miroirs est de nous permettre d’observer notre propre vie. Dans ses textes, le temps nous est présenté comme une somme de transformations insignifiantes où se développent notre curiosité et notre inquiétude ; un temps où la lumière est souvent présente mais qui peut être teintée de nostalgie et de désillusion.
Pour faire face aux ombres, l’auteure espagnole trace un univers personnel dans lequel poésie et imaginaire s’unissent pour bâtir un refuge. Plus précisément, les espaces creux (« huecos ») que la poète nous décrit par exemple dans son recueil Este mar al final de los espejos (Ed. Torremozas, 2020) sont des lieux où nous pouvons trouver des raisons de continuer cette recherche du sens de notre existence. L’un de ces espaces est justement l’amour, présenté comme « mou et somnolent ». Ces adjectifs nous montrent bien qu’il s’agit, dans le ton lyrique de l’œuvre, de proposer une poésie qui tente de se déployer discrètement, comme à voix basse, pour conjurer la peur face à nos fragilités.
Marina Casado lit son poème “Todavía” lors de l’hommage à José Ángel Casado organisé au CEIPSO Tirso de Molina le 9 juin 2017.
Dans l’écriture de Marina Casado, les miroirs se dressent comme des illusions perdues, mais aussi comme des prismes qui déforment le passé, que ce soit pour révéler la douleur provoquée par l’oubli ou pour s’en éloigner. C’est ainsi qu’elle va créer des « mondes indemnes pour recouvrir la blessure » que nous laisse par exemple l’absence des êtres chers, en développant une véritable étude du temps et de la fragilité qui l’entoure. Quelles solutions avons-nous alors pour continuer d’avancer ? Peut-être pouvons-nous nous accrocher au tangible, parfaitement représenté dans le poème Pour échapper vers n’importe où: pour fuir la mélancolie et lutter pour sa propre survie, ce sera la présence de l’autre qui nous aidera, même si nous ne savons pas exactement quelle sera la direction à prendre.
Le regard de Marina Casado parvient à transformer son environnement et à en faire un objet poétique. Ses vers reflètent les peurs, la fragilité de ce qui a été vécu, mais le plus important est qu’ils acquièrent une valeur en tant que tels, devenant indispensables pour notre salut car la poésie est un murmure que dit à la mort de « ne pas ouvrir les yeux » et qui finira par transformer le passé dont on tirera malgré tout de précieux apprentissages.
Face à la vie considérée comme un « sinistre manège de miroirs », et comme pour se protéger du jour où la poésie sera devenue silence, Marina Casado écrit avec un style limpide et sait construire des vers chargés d’un lyrisme serein et sans excès afin d’aborder certains des thèmes traditionnels du monde poétique : Le jour viendra où les poèmes prendront fin / et une explosion bleue, un précipice, / nous dira ce que nous sommes : / nos yeux s’ouvriront / dans les yeux du soleil.
Le poème Technicolor est extrait de l’ouvrage ” Mi nombre de agua ” (Ediciones de la Torre, 2016). Extrait du récital organisé par Ángela Reyes, de l’Asociación Prometeo de Poesía, au Centro Riojano.
AVES MIGRATORIAS
Estoy queriendo tanto
a una estación desvanecida
que tengo miedo de extinguirme,
miedo de deshacerme como las golondrinas
que en las tardes recónditas de octubre
deshabitan aldeas.
Es necesaria ahora esta nostalgia;
ahora que han arrancado la flor de la costumbre
y en las salas oscuras del corazón
estallan las primeras
revoluciones.
El verano cabría también en una lágrima.
EL EQUILIBRIO
A veces tengo al viento de mi parte
a las puertas heladas del invierno.
A veces me limito a contemplar
la sed anquilosada de la vajilla sucia
y el mundo también finge detenerse
para desenredar mis pensamientos.
Una vez me quisiste bajo la madrugada
y fue como tocar un vals en el piano
sin ensuciar la melodía,
como sacar los ojos con cuchara
al semblante del miedo.
OISEAUX MIGRATEURS
J’aime tellement
cette saison évanouie
que j’ai peur de m’éteindre,
peur de me défaire comme les hirondelles
qui dans les soirs secrets d’octobre
dépeuplent les hameaux.
Elle est nécessaire cette nostalgie maintenant;
maintenant qu’on a arraché la fleur de l’habitude
et que dans les salles obscures du cœur
éclatent les premières
révolutions.
L’été tiendrait aussi dans une larme.
L’ÉQUILIBRE
Parfois j’ai le vent de mon côté
devant les portes glacées de l’hiver.
Parfois je me borne à contempler
la soif ankylosée de la vaisselle sale
et le monde feint aussi de s’arrêter
pour dénouer mes pensées.
Une fois tu m’as aimée sous l’aube
et ce fut comme jouer une valse au piano
sans salir la mélodie,
comme arracher les yeux avec une cuiller
du visage de la peur.
Marina Casado dit le poème Gimme Shelter, tiré de son deuxième recueil de poèmes, Mi nombre de agua (Ediciones de la Torre, 2016), lors de la présentation du livre au Restaurant EL Espejo à Madrid, le 24/6/2016. À la guitare, Juan Casado et Álvaro Gabaldón.
Poèmes inédits publiés dans la revue en ligne espagnole El Coloquio de los perros
https://elcoloquiodelosperros.weebly.com/poesiacutea/marina-casado
PARA ESCAPAR A NO IMPORTA DÓNDE
Esta ciudad deshilachada por los puños,
esta boca caliente donde nacen
todos los huracanes,
el temblor de tus labios al pronunciar mi nombre
y volverme tangible en un segundo
cuando todas las horas nos disuelven
en latigazos de melancolía;
este traje vacío, en fin, mi vida hueca,
son las certeras servidumbres que te otorgo
para escapar a no importa dónde.
LOS GRITOS CAÍDOS
Tengo un amor como tengo la noche,
de esa forma compleja y olvidada
en la que se desatan las espigas.
Tengo tu nombre al borde de la boca
y tengo un miedo tenaz a pronunciarlo
sin llenarme la sangre de septiembres.
(Septiembre a veces se confunde con un acantilado).
He visto mundos fabulosos en tus ojos,
besos, barcas, libélulas.
He invadido los bosques de tu ausencia
solo por un instante.
Tengo un amor como tengo una muerte
y los dos se parecen en las manos vacías,
en su forma sutil de acantilado.
Mi voz es alta y soñolienta igual que las espigas
y te grita en silencio,
sin pronunciar tu nombre arrasado de miedos,
bajo la bóveda implacable de la noche.
TODA LA LUZ
No había conocido aún las espinas del mundo.
Dentro de aquella mano, grande como un tumulto
de golondrinas viejas,
fui una niña coleccionista de veranos,
tendente a la melancolía,
que soñaba con hadas y temía los años
en los que nadie pudiera protegerme.
Cuando miro mecerse las hojas de los árboles
en los columpios amarillos que levanta el otoño,
los escombros de una ciudad atardecida,
siento en mi mano todavía
la sombra de su mano,
regalándome, como entonces,
toda la luz.
POUR ÉCHAPPER VERS N’IMPORTE OÙ
Cette ville aux poignets effilochés,
cette bouche chaude où naissent
tous les ouragans,
le tremblement de tes lèvres quand tu prononces mon nom
et que je deviens tangible en une seconde
quand à chaque heure on est dissous
dans des claquements de mélancolie ;
ce costume vide, bref, ma vie creuse,
voilà les servitudes certaines que je t’offre
pour échapper vers n’importe où.
LES CRIS TOMBÉS
J’ai un amour comme j’ai la nuit
avec cette forme complexe et oubliée
où les épis se délient.
J’ai ton nom au bord de ma bouche
et j’ai une peur tenace de le prononcer
sans que mon sang se remplisse de septembres.
(On confond parfois septembre avec une falaise).
J’ai vu des mondes fabuleux dans tes yeux,
des baisers, des barques, des libellules.
J’ai envahi les forêts de ton absence
rien qu’un instant.
J’ai un amour comme j’ai une mort
et les deux se ressemblent dans les mains vides,
dans leur forme subtile de falaise.
Ma voix est haute et somnolente comme les épis
et elle crie vers toi en silence,
sans prononcer ton nom dévasté par les peurs,
sous la voûte implacable de la nuit.
TOUTE LA LUMIÈRE
Je n’avais pas encore connu les épines du monde.
Dans cette main, grande comme un tumulte
de vieilles hirondelles,
je fus une petite fille collectionneuse d’étés,
propice à la mélancolie,
qui rêvait de fées et craignait les années
où personne ne pourrait me protéger.
Quand je regarde dans les arbres les feuilles qui se bercent
sur les balançoires jaunes que lève l’automnre,
les décombres d’une ville à la nuit tombée,
je sens encore dans ma main
l’ombre de sa main,
qui m’offre, comme alors,
toute la lumière.
De Este mar al final de los espejos, ©Ed. Torremozas, Madrid, 2020. Traduit avec l’aimable autorisation de la maison d’édition.
Présentation de l’auteur
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