Marina SKALOVA, Atemnot (Souffle court)

 

 

Atemnot (souffle court) est sûrement un livre sur la faiblesse et la beauté de la traduction. Dans la vie, Skalova traduit, écrit de la poésie, du théâtre, des textes sur la littérature, entre autres choses sans doute. Elle passe une grande partie de son temps en Suisse, entre autres pays sans doute.

Son texte est translingue. Marina Skalova se promène entre deux langues. Il y a l’allemand et le français, ses « langues de travail ». Mais il y a aussi je crois la langue absente, celle qu’elle dit « maternelle », qu’elle évoque sans la nommer ni en citer un mot. On peut dire que Skalova est née à Moscou en 1988. Que son livre commence par une citation d’une autre Marina (Tsvetaeva) qui disait : « écrire des poèmes, c’est déjà traduire ». Le reste lui appartient alors on n’en sait rien.   

Son livre est tout de même très francophone : par son éditeur (Cheyne), son introduction et peut-être même sa typographie. Chaque page commence par le texte en français aligné à gauche, et continue, plus bas, avec le texte allemand, aligné à droite. Curieusement ce dernier est en italique, peut-être comme pour faire pencher un peu ce qui est étranger ou pour dire qu’on doit le caresser pour mieux l’apprivoiser. Mais au fond, en traduction, il n’y a pas d’équivalence, la douce trahison se profile toujours, alors forcément l’équilibre se dérobe parfois.

Quelques refus de la traduction à la lettre et quelques emprunts à l’autre langue se nichent ça-et-là au creux du poème pour le rappeler explicitement mais au fond l’alchimie est plus profonde que la simple citation. Ici les deux langues sont un peu l’une l’autre, s’irriguent, pompent leur sangs que le poème rend compatibles, c’est le cœur battant  de « l’imagination translingue » que décrivait Steven Kellman. Si les mots « creusent un sillon » (p.23), c’est dans « les brèches », peut-être quand « la langue se fend » (p.22). Alors les noms communs allemands n’ont pas la majuscule d’ordinaire de rigueur et les verbes français sont parfois des noms communs.

Dans le poème de Marina Skalova, « la peau se poussière » comme « on se peau » chez Loïc Demey (Je, d’un accident ou d’amour, Cheyne, 2014). Elle s’arroge à pas de loup le droit de tordre ses langues, sans y aller trop fort, sans revendiquer, mais simplement parce que parfois, il y a besoin. Est-ce le corps qui veut parler ainsi ? Après tout la langue -avant d’être cognitive et culturelle (Skalova écrit toujours die Sprache, jamais die Zunge)- n’est-elle pas anatomique ? Le poème nous glisse :

 

« Le corps est une hache
qui s’abat dans l’ombre »

 

Atemlos, c’est le titre sous lequel les germanophones ont connu A bout de souffle, de Jean-Luc Godard. « - Los » en allemand cela veut dire l’absence, qu’on n’a plus, que c’est terminé, mais  « -not » cela veut dire qu’on a besoin, que l’on n’a presque plus, qu’il faut respirer. Atemnot, (le souffle court), est-ce le souffle qui est court ou celui qui court ? Marina Skalova nous souffle à l’oreille la beauté à la fois de ce moment-là et de ce mouvement-là : ceux des corps pris dans l’apnée amoureuse, dans le leurre des mots ou dans l’errance territoriale. Avec ses frictions, ses jeux et ses silences, c’est aussi une belle histoire.

 

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