Introduction et traduction par Miguel Ángel Real
Mario Pérez Antolín est l’un des plus importants auteurs espagnols d’aphorismes. Ses livres ont reçu les éloges de penseurs éminents tels qu’Eugenio Trías, Victoria Camps, Joan Subirats ou Vicente Verdú, et sont devenus une lecture de référence pour ceux qui aiment la fusion entre bonne littérature et littérature dissidente. Sa poésie, « déguisée en philosophie » selon Carlos Aganzo, se caractérise par la force expressive des images et la profondeur réflexive des idées, créant ainsi un style novateur très apprécié par la critique spécialisée en Espagne et à l’étranger.
L’un des aphorismes de Pérez Antolín nous dit : « Il n’est pas de meilleure éthique qu’une apologie élégante du rire », et son écriture sait certes se révéler ironique, mais il reste très éloigné d’auteurs de référence dans l’histoire littéraire espagnole tels que Ramón Gómez de la Serna (1888–1963), inventeur des Greguerías, qui étaient des créations poétiques où se mêlaient l’humour et la métaphore. De son côté, Pérez Antolín développe dans ses aphorismes une philosophie profonde qui refuse l’anecdote :
Parmi les qualités du travail intellectuel je mets en avant l’honnêteté, qui m’oblige à défendre même ce qui ne me convient pas si ceci est juste, et la rigueur, à travers laquelle on met à l’épreuve les conclusions avant qu’elles soient validées (dans « La más cruel de las certezas », Ed. Baile del Sol).
Pour Aitor Francos, Pérez Antolín a su développer sa pensée entre l’intuition et la rationnalité, entre la surprise et l’exercice analytique.
Dans une recherche humaniste qui refute tout nihilisme, il sait se remettre en question en permanence pour chercher continuellement la vérité, ou plutôt, « l’incrédulité interrogative », seule façon d’échapper aux dogmatismes qui ont tendance à occuper l’espace intellectuel actuel. Ses livres, dans lesquels on trouve aussi des micro-récits et des courts poèmes, se révèlent très accessibles car ils sont rédigés dans l’exigence d’un langage clair, gage de précision et de pouvoir évocateur.
Pérez Antolín, justement, explique qu’un bon aphorisme « doit avoir la force émotive du meilleur poème et la profondeur réflexive du meilleur essai, et tout cela avec une précision éblouissante. Rien que cela. » Il s’agit d’un genre qui trouve sa place « entre la’intuition et la rationnalité, entre la passion et l’analyse, entre l’éthique et l’esthétique ».
C’est avec un immense plaisir que nous vous proposons, en exclusivité, ces quelques aphorismes inédits, appartenant à son projet Contrariedades.
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La trampa de las ideologías consiste en hacer pasar por enunciativo lo que es, en su mayor parte, emotivo.
Le piège des idéologies consiste à faire passer pour énonciatif ce qui est, en grande partie, émotif.
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No alcanzamos la verdad porque no estamos preparados para ella. Su sola visión nos desintegraría.
Nous n’atteignons pas la vérité car nous n’y sommes pas prêts. Sa seule vision nous désintégrerait.
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Muchos prefieren trucar antes que truncar. El engaño como alternativa a la mutilación. Practican la magia por no practicar la siega.
Nombreux sont ceux qui préférent truquer plutôt que tronquer. Le mensonge comme alternative à la mutilation. Ils pratiquent la magie plutôt que le fauchage.
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Hoy cumplo 53 años y soy más evocable que futurible.
Aujourd’hui j’ai 53 ans, et je suis plus évocable que potentiel.
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No queda otro remedio que ser huidizos: utilizar cualquier recurso que nos haga ilocalizables, desaparecer de los registros y las bases de datos. La evasión que permite zafarse del chequeo.
Nous n’avons pas d’autre alternative que d’être fuyants : utiliser tout moyen pour nous rendre injoignables, disparaître des registres et des bases de données. L’évasion qui permet de se dérober au contrôle.
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Creo en un Dios que aún no haya creado nada, generativamente inédito.
Je crois en un Dieu qui n’aurait encore rien créé, générativement inédit.
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La soledad contemplativa predispone a la creación y a la autodestrucción.
La solitude contemplative prédispose à la création et à l’autodestruction.
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No hay mayor mentira que la clemencia del vencedor. El que gana siempre descabella.
Il n’est plus grand mensonge que la clémence du vainqueur. Celui qui gagne porte toujours l’estocade.
La máscara daba miedo, pero el enmascarado, oculto tras ella, aún más. El mayor terror se encuentra siempre al otro lado.
Le masque faisait peur, mais le masqué, caché derrière, encore plus. La plus grande des hantises se trouve toujours de l’autre côté.
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Evita que la muerte tenga envidia de tu felicidad. Deja siempre, en tus logros, una pequeña parte sin cumplir. Tómatelo como un seguro de vida.
Évite que la mort soit jalouse de ton bonheur. Laisse toujours, dans tes réussites, une petite part non accomplie. Prends-le comme une assurance vie.
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Présentation de l’auteur
- La revue SALADE - 29 octobre 2023
- ELÍ URBINA MONTENEGRO - 2 mars 2022
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- Joaquín Campos : La vérité ou le risque - 6 septembre 2021
- Dans la collection Encres blanches : Gérard Le Goff, L’élégance de l’oubli, Vincent Puymoyen, Flaques océaniques - 20 mai 2021
- José Antonio Ramos Sucre, La substance du rêve - 6 mai 2021
- La revue Cunni lingus - 20 avril 2021
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- Traversées, numéro 97 - 6 mars 2021
- ESTEBAN MOORE : L’IMPOSSIBLE TEMPS RETROUVÉ - 5 mars 2021
- Julieta Lopérgolo - 5 janvier 2021
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