Martin Payette, Blocs de torpeur malaxée

Par |2022-05-06T07:33:18+02:00 2 mai 2022|Catégories : Martin Payette, Poèmes|

 

LE MALAXEUR

Le malaxeur est un acces­soire util­isé par la vie pour nous décom­pos­er dans de nou­veaux tour­bil­lons rich­es en tun­nels et aquar­i­ums pleur­nichards. Les sen­ti­men­taux qui lorgnent un bon­heur naïf doivent pass­er par ce stade de décom­pres­sion, ils en sor­tiront pas­teurisés comme des fruits trop­i­caux vidés de leur jus suc­cu­lent. Le broyeur s’occupe des plus volon­taires, pul­vérisant tout des­tin plan­i­fié. Un mal néces­saire pour saisir le mes­sage : ta des­ti­na­tion finale n’est pas de ce monde.

Con­fron­ter le pro­jet, son pur solide à la sou­p­lesse des décep­tions possibles.

 

AU PETIT MATIN

Je ne demande aucun bais­er, je qué­mande à sa bouche de m’engloutir com­plète­ment. Ses lèvres tortueuses font plaisir à voir, com­ment elle se débrouille pour sur­vivre m’excite et j’espère tir­er de sa mal­adresse un max­i­mum d’irréel. La tech­nique habituelle, en somme.

 

TOUR DE MAGIE IMPROBABLE

Nous adhérons à ce monde, entrons dans sa fureur, broyés par une tor­peur sans mer­ci pour en ressor­tir intacts et propager une sorte de petit manuel trai­tant de résur­rec­tion pour débu­tants mal dégrossis dans ce domaine.

Nous voulons vous ini­ti­er à tra­vers ces litur­gies, nous récupérons tran­quille­ment l’enfant après nous ciblons l’utérus réparons les con­tre­coups d’un par­adis per­du à la naissance.

Nous sommes seule­ment per­plex­es côté artistes con­ver­tis en ouvri­ers du sable et des pyramides.

Nous ne savons com­ment con­ver­tir l’horizon bloqué.

 

DÉSIR MAL DÉGROSSI

Désir cherche porte de sor­tie pour apais­er sa soif. Désir cherche à s’éteindre afin de calmer créa­ture désir­ante au bord de la crise. Désir d’en finir avec les désirs, désir brut tout court. Désir opposé à un autre, désir puis­sant mais futile, lutte et rechute dans l’absence de vain­queur. Désir de feu affronte désir de paix, désir trou­ble parie sa chemise con­tre désir tran­quille, rien ne va plus faites vos jeux.

Désir se mas­turbe, se frotte con­tre la porte, beu­gle ses pul­sions bovines mais con­science pas­sive déteste cet ani­mal auquel elle est rat­tachée par l’énigmatique con­nex­ion de la couille à l’esprit.

 

MATÉRIALISTES ET VOLATILES

À la base de toute cette con­som­ma­tion, à la nais­sance majestueuse de cet esclavage, il y a for­cé­ment une forte attrac­tion envers les biens con­crets, objets, argent, la con­vic­tion que s’entourer de toutes ces choses rajoute de la masse, de l’ampleur à son indi­vid­u­al­ité. Un désir cer­tain de s’installer, creuser son nid dans la matérialité.

Mais que dire des volatiles, les pla­neurs, ceux qui ont tou­jours perçu la pos­ses­sion comme un alourdissement ?

 

LE POURQUOI DE L’ATTRACTIF

Si tu veux con­naître le pourquoi de l’attirance, observe son envers, la répul­sion. Par­mi toutes les ques­tions que tu te pos­es, la plus brûlante n’est-elle pas celle de l’aimant, qui te mag­né­tise et te garde en son pou­voir? Une forme ne fait que pass­er et pour­tant elle t’aspire jusqu’à la moelle. Ta con­science s’incline sans une once de résis­tance devant le désir de pos­séder une créa­ture, puis une autre, et encore une autre. Tu peux faire quelque chose pour ça ?

Tu as trou­vé un livre, une méth­ode pour dompter la bête sans l’emmurer dans une éter­nité de castration ?

 

TENTATION

Le thème de la ten­ta­tion, jamais anodin, sou­vent ren­con­tré durant cette exis­tence. Cette per­son­ne, sub­stance ou pou­voir qui sem­ble con­tenir un par­adis per­du et qui se dessèche comme une tapis­serie glu­ante lorsqu’on parvient à l’atteindre, pour aus­sitôt rede­venir séduc­tion lorsqu’on fait un pas vers l’arrière.

Inca­pable d’éviter le mirage, de le con­tenir. Tenir debout, vouloir pass­er à autre chose tout en l’ayant con­stam­ment sur le bout de la langue.

Tu es le créa­teur de cette illu­sion mon­tée de toutes pièces, abusé par nul autre que toi-même dans ce fan­tasme où la pul­sion est un boa qui t’avale.

 

ÂGE D’OR ASIATIQUE

Mal­gré son hyper-pro­duc­tivisme et sa moder­nité, je n’arrive tou­jours pas à dis­soci­er l’Asie d’une civil­i­sa­tion spir­ituelle et heureuse, une sorte d’Âge d’or antérieur dont il reste encore des traces. À chaque voy­age, je me retrou­ve comme baig­nant dans une sorte de plas­ma pais­i­ble, une con­tem­pla­tion lucide des gens et de l’existence m’est pos­si­ble dans ces villes pol­luées et surpeuplées.

Il y a là une sen­sa­tion de « retour heureux », je reviens à une paix, un repos. Der­rière tout cela, le bon­heur tran­quille que pro­cure le féminin asi­a­tique. Je m’ennuie d’elle, nos­tal­gique que je suis de cette femme antérieure, intérieure. Mais l’Asie d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier, de même que ces sociétés qui ont muté au con­tact de l’Occident. Je vois une couleu­vre cir­culer dans ses yeux, une avid­ité souter­raine qui vient gâch­er ce beau décor orig­inel. Je prends une chose pour une autre, et je super­pose une réal­ité évanouie sur un monde qui a depuis longtemps enter­ré le grand féminin récep­tif dans sa sup­posée sagesse industrieuse.

Présentation de l’auteur

Martin Payette

Mar­tin Payette tra­vaille comme enseignant en fran­ci­sa­tion avec les immi­grants à Mon­tréal. Après quelques années à œuvr­er dans le monde de la télévi­sion il est retourné à ses pre­mières amours, soit la poésie et le théâtre. De son bac­calau­réat en lit­téra­ture il garde un excel­lent sou­venir, mal­gré l’érosion de cer­taines théories lit­téraires dans les arcanes de sa mémoire.

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