Je vous avoue, je me méfie des éti­quettes, des clas­si­fi­ca­tions. Et la poésie n’échappe pas à cette règle de tout vouloir ranger sous une ban­nière, un éten­dard, un tiroir, un mou­ve­ment artis­tique. Alors quand un jeune auteur de 24 ans inti­t­ule son ouvrage Géopoésie, je suis un peu réti­cent. Qui est ce jeune auteur qui vient met­tre ses pas dans ceux de Ken­neth White?

Mar­tin Wable est donc né en 1992 à Boulogne-sur-Mer et vit actuelle­ment dans les Lan­des. Créa­teur avec Pierre Saunier de la revue cos­moréal­iste (encore une autre éti­quette) Jour­nal de mes Paysages, il a pub­lié La Pinède (2012), Snob­ble et Le Livre de Wod (2015) aux édi­tions mael­strÖm, et Prismes (2014) aux édi­tions de la Crypte. Géopoésie a reçu en 2015 le prix de la voca­tion de la fon­da­tion Bleustein-Blanchet.

Mais ici l’é­ti­quette n’est pas usurpée, la voie indiquée par Ken­neth White pour une géopoé­tique comme ouver­ture au monde n’est pas détournée par Mar­tin Wable. Ce livre fonc­tionne comme un jour­nal de lieux et d’in­spi­ra­tions, sans date, juste quelques notes pris­es à la volée lors de “journées cos­moréal­istes”. Cos­moréal­isme et géopoé­tique ou com­ment plac­er la poésie au croise­ment pré­cis entre le lieu et l’homme. Des lieux comme Rouen, Boulogne, Haget­mau, Paris, Athènes, Barcelone.

L’ap­proche géo­cri­tique, c’est celle du géo­logue, du géo­graphe, dans le texte qui se com­pose. J’ai voulu le dire à Julie, ma petite amie : “Il faut faire beau, c’est la seule règle.”

Mar­tin Wable, s’in­ter­roge dans ces notes bien enten­du sur le rap­port de l’homme et de la nature :

Les lieux que nous visi­tons sont aus­si ceux de notre réso­nance com­mune, entre êtres humains qui se ren­con­trent, s’exportent.

J’habite dans la pierre. Je ne le pen­sais pas, je m’y suis logé.

J’aime les poèmes qui par­lent de roche et d’eau, de vent et de fleurs. Car le poème est, à tous les degrés de son incar­na­tion, le meilleur lieu, le meilleur moment pour sen­tir l’in­tran­sigeance d’un cail­lou, la sub­til­ité d’un mince courant d’eau. C’est un lieu au calme, à l’abri du grand monde qui au-delà s’étend.

Il ques­tionne aus­si la pra­tique de la poésie :

J’ai rêvé d’écrire une poésie qui par­le de graviers au soleil. Le silence ne serait rompu que par d’énig­ma­tiques instants : dès hommes réels ou encore, rien de pré­cis, des col­orations de la lumière. Une poésie où l’on revient plus que d’où l’on fuit.

Lire, c’est savoir repein­dre le paysage de nos émo­tions. Et c’est l’ou­bli­er avec précaution.

Et, au détour des pages de Mar­tin Wable, on y ren­con­tre beau­coup d’écrivains et d’artistes car sa géopoésie se fonde aus­si sur la lec­ture d’an­ciens comme Pla­ton, Rûmi, Mah­moud Dar­wich, Neru­da, Pes­soa, Yves Bon­nefoy, mais aus­si de plus jeunes comme François Grav­e­lines, Maha Ben Abde­lad­him ou Antoine Wauters. Mais aus­si la pein­ture de Miro, les instal­la­tions de Hratch Arbach, la musique de Nick Cave.

Vic­tor Hugo, c’est aujour­d’hui et main­tenant. Demain ce sera le futur et vien­dront autant de prophètes qu’il y eut d’habi­tants. Ils se sont réin­car­nés? Denis Roche a mangé Allen Gins­berg qui a mangé Walt Whit­man qui s’est endor­mi au bord du fleuve.

Vivre dans un poème, c’est recon­naître le milieu de tout ce qui se passe en soi. J’ai vécu dans un poème avec Julie un instant. Nous avons échangé nos thés et une éclair­cie s’est faite sur le boulevard.

Le prix de la voca­tion en poésie récom­pense donc un jeune auteur promet­teur. Mar­tin Wable s’in­scrit dans la lignée d’au­teurs comme Cédric Deman­geot, Déb­o­rah Heissler, ou Lau­ra Vasquez qui ont con­fir­mé par la suite tout leur tal­ent. Nul doute que celui de Mar­tin Wable se ver­ra lui aus­si con­fir­mé dans les années à venir.

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Denis Heudré

né en 1963 à Rennes, denis heudré cul­tive son jardin dis­cret dans un coin de la web­sphère sur son site inter­net