Jeune auteur de 22 ans publié aux Editions MaelstrOm, Martin Wable a obtenu le prix de la Crypte Jean Lalaude 2014, prix décerné chaque année depuis 1984, par les Editions de la Crypte qui ont déjà récompensé entre autres : Valérie Rouzeau, Eric Sautou ou Khaled Ezzedine.
Composé de cinq sections courtes portant chacune un titre, ce petit livre dédié à son frère Etienne n’appartient à aucun genre, mais la poésie l’emporte incontestablement dans ce recueil où se mêlent onirisme et tristesse.
Une conte japonais (titre de la première section) ouvre le recueil et donne ses pages les plus douloureuses avec l’annonce en incipit : « J’avais eu un frère, nettement plus beau que moi, toujours au cou des filles ». Livre-tombeau, livre du deuil, livre du difficile vivre après la disparition d’un être proche, mais plus encore de la culpabilité, quand nous avons entretenu avec cet être, une relation complexe.
« Il est des hommes perdus dans ce monde, qui n’ont pas d’histoires dont ils sont les héros, qui n’ont pas de refuge pour mettre en lumière leurs souvenirs, qui n’ont même pas d’espaces pour recueillir le vent. A peine peuvent-ils le saisir dans le creux de leurs mains. Et lui leur souffle dessus. Il passe immense et grave entre les montagnes, il ne les entend pas. Mon frère était un de ces hommes. Je le savais marchant le dos dépourvu de tout regard. S’oubliant lui-même, sur le lit d’une rivière glaciale. Il a regardé le cours cinglant de l’eau, il n’a pas senti ses larmes sur son visage, il n’a pas senti ses genoux fléchir. Il a fini avec son ombre au ventre.
Peut-on courir après le fleuve ? Je sais que son écorce est sèche, qu’elle est dans un espace trop large pour que le mien l’insuffle. Il est temps pour moi de devenir arbre. »
De cette disparition inconsolable ne reste plus au narrateur qu’à… devenir arbre.
Partir, fuir, tout quitter.… pour se trouver… se donner l’illusion de la vie.
Commence une errance, sac au dos.
On frôle cet homme, on se heurte au vent, aux pierres, aux êtres qu’ils croisent, au froid des nuits, on épouse sa tristesse d’homme résolument solitaire qui « attendait le sort ».
Le temps s’étire, de l’après-midi au soir, il fait toujours froid, il fait toujours nuit.
« Je continue comme si de rien… »
et il est là, seul, perdu dans l’espace glacé.
Des récits hallucinés, dans le monde ou en dehors, dans sa bulle, dans le souvenir peut-être. On est nous-mêmes comme drogués, pris dans les filets des mots, dans les rets de ses rêves et de sa réalité :
« C’était un jour comme les autres, un jour ouvert et très long… » « Aucun ne m’a rejoint. Tous êtes restés perdus, coincés à la périphérie. Laissez-moi vous nommer tels que vous êtes : vous êtes les zonards du cube déplié. »
Chacun de nous peut se reconnaître en lui ou en cet autre. Coincé dans sa douleur et la stupeur d’être encore en vie, il n’est peut-être plus lui-même, en voie de métamorphose, devenu végétal, arpentant les chemins, tombé amoureux de l’arbre, il retrouvera peu à peu goût à la vie.
« Je l’aimais, mes veines s’éthérisaient, quand je tombais sur son souvenir, furtif, comme un oiseau surpris dans l’ombre ».
Au bout du chemin que l’on a pris avec lui « il a fallu que mes poumons s’emplissent de l’humidité qui plane au-dessus des bosquets », amaigri, fatigué, « j’avais envie d’être sec, j’avais envie d’avoir faim ».
Malaise, vide insupportable que rien ne comble, immobilité sous le ciel, dédoublement schizophrénique, et personne à qui confier sa présence, sauf peut-être à Diane, pas sûr.
Des tentatives de dialogue ou de correspondances dont on ne peut identifier réellement s’ils ont existé ou…
Novembre, mois des morts, avec sa froidure, sa descente de la croix, et toujours l’eau et le vent des mers du Nord.
On s’enfonce dans le texte comme dans l’épaisseur d’un songe. L’obscurité, la dualité, la douleur d’être quand l’autre n’est plus.
Mais ne vous y trompez pas, s’il n’y a rien de gai, l’onirisme de la narration l’emporte. Ce texte est un appel à la vie, au renouveau après une longue errance, un dialogue continué dans l’au-delà, une parole retrouvée, c’est sans doute aussi une rédemption.
« Je sens que désormais nous avons atteint le peuple de la mer ».
« Les fixes images que l’on cultive sont les rouages de l’univers.
Et l’examen de nos vertiges est affiché sur les revers. »
« quels souvenirs ? Une mer de pierre, désormais sous la neige. »
Martin Wable est né en 1992 à Boulogne/Mer et vit actuellement dans les Landes. Il a créé avec Pierre Saunier et Antoine Erre la revue cosmoréaliste Journal de mes paysages et anime le site internet martinwable.fr. Il s’intéresse à la lecture et à la performance.
Prismes a reçu le prix de la Crypte Jean Lalaude en 2014. Les Editions Maelstrom publieront en 2015 deux autres oeuvres : Snobble et Le Livre de Wod.
La pinède, Editions maelstr0m, 2012
Snobble, Editions maelstr0m, 2015
Le Livre de Wod, Editions maelstr0m, 2015
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