Martin Wable, Terre courte
Il faut découvrir la poésie de Martin Wable qui avait reçu le prix de la vocation (il est né en 1992) avec son recueil Géopoésie publié chez Cheyne en 2015. Car, avec son dernier recueil Terre courte, il confirme le talent repéré par le jury.
Avec cet ouvrage, comme pour nous rappeler que nous avons la mémoire courte, Wable nous suggère que l'histoire humaine n'est qu'une succession de présents devenus passés et trop vite oubliés. De multiples chemins délaissés, bordés de racines trébuchantes, avant ce point du jour qu'on nomme hui.
J'aime cette façon de placer la langue quelque part entre la géographie en abscisse et l'histoire en ordonnée. Après la géopoétique, Wable ajoute de l'historiopoésie et du lyrisme. Le poème comme "Topographie des fondations de son enfance".
Sur son étal de poète, Wable nous propose toutes sortes de lieux d'histoire. A commencer par la grande période des explorations-conquêtes-exploitations. "Et tandis que réécrire la langue voyageuse : c'était creuser un canal stratégique, mobiliser un régiment. Annexer des tribus, des dialectes et laisser derrière soi un parfum de cuir dans le crépuscule. Chevaucher, répandre une cendre ; envoyer des bouquets de convois marchands dans les steppes. Déborder le fleuve à locomotive derrière les horizons moribonds."
Martin Wable, Terre courte, Editions du cygne 2018, 52 p, 10€.
[...] "Et c'était être navigateur, faire des expéditions en Égypte, punir le peuple oppresseur, ouvrir les mers, bombarder le sultan, marchander un scorpion séché, passer la frontière palestinienne, ici atterrir, migrer, laisser des écritures."
Mais rien n'est si simple, "Garder présent à l'esprit qu'il n'est pas d'histoire qui ne soit un labyrinthe" et cette pique adressée à l'histoire n'est pas le seul propos du livre, Wable veut aussi explorer la langue et son propre travail d'écriture. "La Terre était ce globe incontournable, écrire c'était se frayer dans les voies, dans l'immensité, dans la trace des choses. Garder à l'esprit qu'il n'est pas d'histoire qui ne soit un labyrinthe."
Des pays se créent, des frontières sont déplacées:
"Dès lors, il s'agit d'apprendre à parcourir les nouvelles frontières du monde avec le tact du médecin qui touche une vieille blessure. Mais il arrive que le sentiment du monde se refuse à se baigner deux fois dans la même langue."
Martin Wable nous propose un voyage dans le temps en maniant l'anachronisme comme un ouvre-imaginaire. "Et quand bien même on gagne le marais où s'est tissée la mémoire. Que l'on s'embourbe jusqu'aux genoux. On serait tenté de gagner ce côté de la rive où la clarté nous détermine. Et ce serait proposer une langue encore, proche de celle que tracent les pattes des oiseaux sur la vase."
Si Martin Wable se fait par endroit plus revendicatif, il sait regarder sa propre histoire au regard de celle du monde tel qu'il est devenu. Bref, une poésie qui fait réfléchir dans le plaisir de la langue.