Ce dernier livre se présente comme une suite de proses poétiques ayant chacune un titre en italien. Le titre général « ADESSO » (« présentement », « à présent »), nous entraîne à vivre divers moments d’un vagabondage, d’une pérégrination, une ballade au sens musical du terme, comme il est précisé dans le sous-titre.
Martine Konorski nous indique que ce texte est né lors de mes voyages en Italie, particulièrement dans les Pouilles, lorsque je me suis retrouvée sur les traces de Pier Paolo Pasolini écrivain, poète mais aussi cinéaste. Le livre lui est ainsi dédié, ce dont témoignent les deux exergues empruntées à deux de ses livres (dont l’un au titre évocateur de « La longue route de sable », dont on trouvera maints échos dans ADESSO), ouvrant et clôturant cette balade littéraire, faisant référence à des périodes de paix, de calme, de bonheur du poète italien.
Ainsi, au cours de ces vingt et un petits tableaux, le narrateur, personnage masculin dont on ne connaît ni le nom ni l’origine, nous convie à partager les témoignages de rencontres de femmes, d’hommes, de villageois anonymes. Ils constituent autant d’instantanés de différents vécus qui se croisent et qui s’enchaînent dans un même mouvement d’ensemble, une même atmosphère à la fois dense et légère. Ils nous sont offerts comme les états d’une rêverie propre à une communauté de vie qui ne sont pas sans solliciter en nous d’autres souvenirs de pérégrinations antérieures…
Martine-Gabrielle Konorski, Adesso, Black Herald Presse 2021, 47 p.
C’est dans dans une belle disposition d’écoute, d’attention, de sollicitude, de curiosité, que le narrateur découvre un monde aimé, en cette Italie du sud, dans la chaleur et la lumière d’une saison à la fois estivale qui pourrait être étrangement tout aussi bien hivernale (puisque dans le texte 18 « Incontro sotto l’ulivo », un personnage féminin cueille les olives).
Il y a donc là un ensemble d’ingrédients regroupant les éléments thématiques d’un tropisme déroulant, en des paysages de mer, de montagnes, de villages accrochés aux rochers, de terrasses et de champs d’oliviers, les moments privilégiés de vies paisibles dans une quotidienneté insouciante, joyeuse, incluant des notations d’ordre culinaire, la description des commerces, du marché, des fêtes, au coeur d’une communauté villageoise avenante, hospitalière.
Dans ces tableaux, plans de cinéma de cette « Italia Magica », certains thèmes tiennent une place prépondérante comme l’évocation des couples d’amoureux (huit fois, au total) en de touchantes scènes au bord de la mer, sur la plage, aussi légères que baignées de douceur dans la lumière aveuglante, ou de l’intensité tendue par le drame ; il y a ainsi une marche pensive des protagonistes, des signaux vibrants d’intimité, tandis que les regards se croisent. Le narrateur, s’en émerveille et laisse parfois transparaître un sentiment de nostalgie et même de regret : Personne ne m’attend, exprime-t-il. Il évoque également un amour de jeunesse, Federica, dont le regard vert me transperce. Là encore, s’exprime le poids de la mémoire heureuse, de la rencontre désirante.
Ailleurs, il y a la visite à une vieille tante la retrouvaille d’une parente. Et puis encore, cette Anna offrant le gîte au narrateur, qui est une autre occasion d’une retrouvaille toute de douceur et de tendresse. Mais : je suis seul. Anna a disparu, se dit-il : ainsi s’etompe tout souvenir qui avive en même temps la sensation du bonheur évanoui.
Dans le texte Nulla si muove le silence et l’immobilité, prévalent en un pays qui est une langue de terre rouge dans les figuiers de barbarie. Il y a aussi ces visites à des lieux emblématiques, tels que la visite à la maison de Modigliani, ou bien à Matera Bella, village troglodyte qui incarnait l’enfer sur terre, où fut tourné le film L’évangile selon Saint Mathieu par le poète cinéaste.
Tels que de légers tableaux impressionnistes, ces récits poétiques, placés sous le signe d’une même unité de temps, d’espace et de lieu, demeurent comme autant d’instants éternisés qui viennent s’imprimer en nous, vifs éclats de lumière dans la nuit de nos souvenirs. Fictions en réminiscence, étayés sur la force de l’imagination créatrice, qui ancrent tout uniment le mouvement d’une palette d’émotions réitérant un « maintenant » (ADESSO), inaltérable : celui de l’exaltation colorée de la sensibilité.
- Martine-Gabrielle Konorski, Adesso - 4 décembre 2022
- Martine-Gabrielle Konorski, Instants de terres - 21 septembre 2021