Marwan Hoss, La Lumière du soir
La poésie de Marwan Hoss est reconnaissable par son extrême économie d'effets et de mots : quelques vers isolés au milieu du blanc de la page ; c'est le silence qui sculpte la parole proférée ou le vide qui sculpte les mots. Cet aspect lapidaire est annoncé par le poème liminaire qui, paradoxalement, est l'un des plus longs de La lumière du soir : Marwan Hoss transporte son lecteur dans un ailleurs pittoresque qui n'est là que pour annoncer la sensation : "Il faisait froid, j'étais heureux". Le poème suivant, tout aussi long (à peine deux vers de plus) a valeur programmatique : Marwan Hoss écrit à partir du silence, mais dans deux directions : l'amour, le corps… ("Ce que j'appelle le vent") et l'inquiétude, la solitude… ("Ce que j'appelle la mort").
Si les poèmes sont brefs, si la parole est parcimonieuse et exigeante toujours à la limite du silence, le miracle opère car le sens éclate sur la page, que ce soit l'espoir ou la douleur, la lumière ou l'ombre, la vie ou la mort. Cependant, cela ne va pas sans une certaine obscurité ou, plutôt, une certaine imprécision. En effet, à qui s'adresse Marwan Hoss ? À la femme aimée ? Comme le laissent supposer ces poèmes : "Pour te retrouver / Il m'a fallu attendre / Que ton corps / Illumine la nuit" ou "Je t'ai aimée jusqu'au sang / La nuit se retire du ciel / Il fait gris dans ma tête / Je découvre un matin dévasté". Au lecteur ? Comme le disent ces vers : "Toi que je n'ai jamais rencontré / Que sur les hauteurs de mes rêves / Écoute ces mots…" Aux deux, alternativement, sans doute. Car il y a une cohérence certaine dans la démarche de Marwan Hoss qui file le poème comme d'autres filent la métaphore : la femme aimée se retrouve dans des vers comme : "Il m'a fallu pour te rejoindre / Traverser la lumière" ou "Je réveille le vent / Qui disperse les nuages / Je sais, tu ne reviendras plus". À quoi font écho ceux-ci : "Ce soir j'ai décidé / De photographier ton absence". Il faut remarquer la pudeur, la réserve du poète qui s'arrête avant l'aveu... De même pour le lecteur. À l'adresse à celui-ci déjà signalée, répondent des images universelles comme "En lançant sa ligne / L'enfant au bout du quai / A déchiré le ciel" ou "Il volait de branche en branche / L'oiseau / Qui n'allait nulle part". Se disent alors, en sourdine, le désespoir et la solitude.
Une autre lecture est possible qui fait apparaître une profonde unité entre certains poèmes. Ainsi au moins dix textes explorent le thème du mot c'est-à-dire de l'écriture. On peut alors saisir que l'écriture correspond à un besoin, il y a urgence à dire. À l'origine, l'inquiétude et la fatigue avoue Marwan Hoss. Cette marée verbale qui envahit le poète laisse le poème lors de son reflux, Hoss a un belle comparaison pour expliciter le fonctionnement de cette marée, celle de la ruche et de la reine des abeilles : un mot vient à l'esprit et une fois la reine trouvée, le travail d'écriture commence qui s'inscrit dans le temps : plusieurs mois de silence pour quelques jours d'écriture. Mais reste alors le chant (trois poèmes emploient ce dernier mot) qui a pour fonction de ralentir la souffrance. Unité donc entre ces poèmes, mais aussi unité du recueil tout entier. Il serait facile (mais fastidieux pour le lecteur) de repérer d'autres thèmes comme le vent, la mort, les cendres, la beauté… et de procéder au même travail d'analyse.
On le voit, au-delà de l'ascèse apparente de cette poésie singulière une possible polyphonie contenue est à découvrir. Les vers sont comme des flèches lancées vers la vérité.