Marylise Leroux, Une île, presque
Il s’agit d’un « poème-diptyque ». D’un côté de la page : les propos tenus par les pins, en vis-à-vis et en caractères italiques : les propos de la mer. Pins et mer s’accompagnent, s’observent, s’apprécient, et comme les membres d’un vieux couple, à force de vivre ensemble, ils en ont pris l’habitude, au point et jusqu’à en avoir besoin.
Ils finissent même par emprunter certains comportements à l’autre : « Il arrive que la mer / prenne ses façons / sur les nôtres / […] Elle consent / pour un temps / à suivre notre rythme /.Les uns servent d’étalon pour une unité de mesure quand l’autre se perd dans son immensité et son infinité jusqu’à l’expérience de l’éternité. L’une est à une approximative horizontale, les autres sont verticaux, ils offrent la transcendance et sont vigiles de la côte. Pins et mer sont différents mais se ressentent comme complémentaires. Les uns et l’autre sont des repères devenus nécessaires pour témoigner de leurs propres vies. Les uns, chacun île à sa façon, ont conscience de former une communauté, mais aussi de porter le ciel qui est la dimension de l’au-delà, un plus grand qu’eux. L’autre se sait très vaste et n’en tire pas un plaisir particulier, tout en ayant conscience qu’il existe des espaces encore plus grands dont celui du rêve. On comprend que pour la mer apprendre est important, souvent elle répète « j’apprends » ; les pins cherchent à pouvoir savoir. Les pins n’ont qu’une île quand la mer les encercle toutes. La mer s’autorise quelques écarts de conduite quand les pins patiemment et courageusement sont droits (ils « pêchent la lune »), mais sans juger ils restent « indulgents pour ses frasques ». L’une cherche « à ne pas se ressembler », elle tente toutes les façons d’être mer et en a tout le temps ; les autres qui ne se déplacent pas éprouvent le temps grâce au silence qui les traverse et se meuvent grâce à leurs pensées.
Marylise Leroux, Une île, presque, Interventions à Haute Voix éditions, mars 2021, 70 pages, 10 euros.
La mer parfois engloutit, devient lieu de sépulture, mais elle est aussi l’origine, le berceau de la vie toujours renouvelée quand pour les pins « vivre … reste un nœud de patience ». Les pins servent de cadran solaire à la mer. Les pins ne savent rien de l’œuvre de Pierre Soulages et pourtant ils savent que « le noir possède ses lumières ». Pins comme mer ont une conscience forte de leur subjectivité. Les pins ne lâchent que des pommes, la mer se veut généreuse, y prend plaisir jusqu’à s’offrir « dans le casier d’un pêcheur / ou le seau d’un enfant », (mais ne dit pas que rivières, fleuves et pluies la renouvellent !).
Il s’agit d’un jeu de reflets, de couleurs, d’assonances, avec et qui ponctuent, des formules aphoristiques : Le bleu parfois / n’est qu’une espérance / parmi d’autres.
La page 33 commence par « j’ai mes cimetières / au fond des criques », impossible alors ne pas entendre Bashung fredonner : Voleur d'amphores / Au fond des criques / J'ai fait la cour à des murènes / J'ai fait l'amour, j'ai fait le mort… Sa chanson est intitulée La nuit je mens. La mer ment-elle ? Elle ne le dit pas mais avoue : « pour vivre / il faut savoir renaître / de tous ses morts ».
Et plus le recueil avance et plus on se prend à contempler une similarité d’épreuves et de destins, celui des pins et celui de la mer : « si nous luttons / c’est contre nous-mêmes / contre le courant / qui nous pousse / de bas en haut / de haut en bas / quoi qu’on fasse. » Marées ou vents, soleil et pluie, jour ou nuit… mer comme pins s’y confrontent. Mais la mer est la plus hardie, et le dernier poème laisse la parole aux pins qui reconnaissent : « La mer restera notre plus belle aventure / notre promesse / notre respiration / Elle nous empêche / de nous replier / dans la crique / de nos peurs » Ces presque derniers mots renvoient à la préface dans laquelle Marilyse Leroux précise que les œuvres peintes et gravées de Thierry Tuffigo sur la presqu’île de La Villeneuve à Séné dans le Morbihan, ont donné naissance au livre. Dans cette préface l’auteure révèle aux lecteurs la question qui préside à la réflexion face à la mer et aux pins : quelle leçon de vie ont-ils à nous donner ? Une fois le livre refermé, le lecteur pourra alors à loisir observer tout paysage, tout événement, à l’aune de cette question : quelle leçon de vie en retirons-nous ? Aussi humble soit le ton du recueil, aussi simple et dépouillé soit-il, Marilyse Leroux réussit un tour de force : celui de nous encourager à plus de réflexion et de réflexivité dans un échange et un partage avec le monde. Si nous voulons bien la suivre, elle nous livre un rapport, une relation au monde que nous pouvons tous et toutes adopter afin d’enrichir notre compréhension de nous-mêmes avec nous-mêmes, comme de de nous-mêmes dans le monde et en interaction avec lui.