Matthieu Lorin, Souvenirs et Grillages

C’est un recueil qu’il faut ouvrir en deux pour y déambuler librement. Après avoir « coupé le grillage des mots », on « pénètre les textes ». Le seuil est franchi. L’auteur nous invite à le suivre dans ses errances, ses expériences de lectures, ses souvenirs d’enfant, ses rencontres avec d’autres enfants qui se jettent dans le vide, avec William Faulkner ou Malcom Lowry, avec un homme qui demande son chemin, des chiens qui traversent les routes sans regarder.

Ce recueil se reçoit comme une invitation au cheminement. On suit les pas de ce je  qui traverse le monde furtivement. Il hante les poèmes avec discrétion et ténacité en même temps. Il est en mouvement, « marche tête levée (…) à la recherche de dieux en colère » et pourtant capable d’une immobilité redoutable dans son observation des petites choses du quotidien. Il est à la fois un passant - qui assume de n’être que passage, qui se laisse traverser par des figures littéraires tutélaires, les porte toutes un peu en lui (« Musil se trouvait dans le fond du sac »), les pose sur des bancs, les promène sous le soleil de Prague - et un poète qui affirme en même temps que sa seule façon d’être au monde est l’immobilité. C’est qu’il y a tant de regard dans tout cela ! Regarder, c’est être mobile et immobile, c’est pénétrer le monde et se laisser atteindre.

Matthieu Lorin a le regard affûté. Il devient même regard à part entière quand il cherche son enfance jusque sous les lames de parquet, « guette les tunnels creusés par les xylophages », observe un trognon de pomme jusqu’à ce qu’il devienne insecte étrange… Le lecteur, à sa suite, est invité à découvrir l’insolite derrière les vitrines crasseuses du quotidien, à contempler un temps le carton qui sèche au soleil, un pavé descellé ou trois cannettes posées sur le rebord d’une fenêtre.

On a alors l’impression d’être traversé. Comme le poète qui, de jour est « une cigarette éventrée » et de nuit « un lampadaire visité par les chauves-souris ». On lit comme si le monde nous passait au travers… comme quoi, il n’y a pas que l’auteur qui se fend de pouvoir franchir les barbelés ! Quelque chose traverse dans les deux sens.

Matthieu Lorin, Souvenirs et Grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques, Sous le Sceau du Tabellion, 2022, 115 pages, 18€

Cette obsession de « fendre en deux » infiltre d’ailleurs le recueil : le poète veut fendre Franz Biberkopf en plein Berlin Alexanderplatz, fendre comme une bûche les livres de sa bibliothèque, couper le grillage des mots et l’écarter, ouvrir un mot en deux puis le refermer avec du ruban adhésif… Les mots et le regard ont ce pouvoir. En un mot ou un seul regard, on peut fendre un cœur. L’auteur nous invite alors à lire notre futur dans les entrailles du poème éventré : « Entre maintenant dans le jeu, pénètre ces textes en essuyant tes vertiges ». Et il nous montre l’exemple. Il ne s’agit pas d’un geste barbare. Simplement de franchir une frontière pour aller chercher le ballon qui s’est fait la malle de l’autre côté.

Cela ne se fait pas à grands coups de hache, mais avec des mots simples, de petits cailloux qu’on trimbale dans sa chaussure et qui brillent pourtant « comme des doryphores », et une langue toute en géométrie et en arabesques,  qui cherche de toutes ses forces à saisir avec la « précaution d’un paysagiste lorsqu’il descend les cyprès de son camion ».

Présentation de l’auteur

Matthieu Lorin

Né au début des années 1980 en Normandie, Matthieu Lorin vit actuellement à Chartres où il enseigne.

D’abord nouvelliste (prix de la nouvelle Crous de la région Centre-Val de Loire, prix de la ville de Rouen), il écrit aujourd’hui à la poésie. Ses premiers textes ont été publiés en revues : Lichen, Décharge et surtout La page blanche dont il est devenu l’éditeur associé. 

Son premier recueil, Le tour du moi en 31 insomnies, est publié aux éditions du Port d’Attache. Proses géométriques et Arabesques arithmétiques a d’abord été publié en 2021 par les éditions du Nain qui tousse, accompagné par des aquarelles de Marc Giai-Miniet. Puis il publie  Souvenirs et Grillages.

Bibliographie

  • Le tour du moi en 31 insomnies éditions du Port d’Attache.

  • Proses géométriques et arabesques arithmétiques éditions du Nain qui tousse.

  • Souvenirs et grillages, éditions Sous le Sceau du Tabellion.

Poèmes choisis

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