Merci pour la poésie, Michel Houellebecq

Merci pour la poésie – et non « pour les poètes », car on peut imaginer que la plupart d’entre eux vous haïront plus encore qu’avant (oui, c’est possible), d’ainsi bénéficier de cinq pages pleines dans Libé de lundi dernier. Le prétexte en étant la promotion de votre dernier « petit » recueil de poèmes.

Certes je  souscris à la plupart de vos réponses aux questions posées. Mais je pense surtout que le fait même d’accorder une telle place à la création poétique « risque » de faire autant - sinon plus - pour l’élargissement de son audience auprès d’un nouveau public que quelques années de Printemps des poètes ou de Maison de la poésie.

Faire savoir ainsi que la poésie peut être le principal carburant d’un artiste mondialement connu pour ses romans prouve combien la poésie atteint, à travers les œuvres procédant d’autres disciplines, beaucoup plus de monde que le faible tirage des recueils le laisse entendre.

La poésie, ce sont des voix solitaires à la recherche d’oreilles multiples. Recherche désespérée le plus souvent. Lorsqu’une opportunité se présente de les faire se rencontrer, ne boudons pas notre étonnement.    

Vous savez que je sais que vous êtes poète avant d’être romancier (1) depuis qu’en 2011, ma qualité de conseiller littéraire m’a permis de vous inviter au festival de poésie Voix de la Méditerranée à Lodève. Vous n’aviez hélas pu vous libérer dans les temps voulu, et vous en êtes à regret excusé.  

On pourrait discuter bien des idées que vous avancez. Permettez-moi de réagir sur un point : vous pensez appartenir au  XIXème siècle. Certes vous n’êtes pas du XXème (on pourrait peut-être parfois s’en réjouir). Je pense pour ma part que vous appartenez au XXIème siècle – n’en déplaise aux puristes de tous bords (j’entends déjà gronder les injures), en ce sens que votre poésie déplace les lignes bien plus qu’il n’y paraît.

Mais la plus sûre façon de faire entendre ce « bousculement des lignes » n’est-il pas de lire ces poèmes, tant ils sont à des années-lumière de ce qui forme le scrupuleux quotidien du monde poétique. Monde qui s’apparente de plus en plus (comme toujours !?) à un « milieu » soucieux de sauvegarder ses territoires de terreur où se terrent des atterrés. Milieu dont les marges ne sont pas forcément dans les excès (eux-mêmes le plus souvent ô combien convenus !), mais dans cette manière d’insinuer du classique/classé, du reconnu/commun, dans un présent «soi-disant « moderne » qui dénie à ces formes poétiques apparemment « surannées » la capacité à dire notre réalité. Et pourtant ! C’est en frappant au cœur de l’illusoire « originalité » de la commune expression poétique (dont nul n’a cure par ailleurs) que ces poèmes font exploser tout un système d’auto-reconnaissance que les poètes – du moins ceux qui se gargarisent de cette pâle appellation – ne sauraient supporter.

Je ne crois pas avoir de ma vie tant lu et entendu gloser sur un poète dans les grands médias ! Par bonheur, ils ne savent pas, eux non plus, ce qu’ils lisent. Au contraire, on peut l’espérer, des « nouveaux lecteurs » que ces poèmes interpellent.

Marc Delouze, écrivain, poète, créateur des Parvis Poétiques, conseiller littéraire des Voix de la Méditerranée de Lodève.

(1)    Robert Sabatier en fut un bel exemple, lui aussi. Et combien d’autres que le public ignore.