Michel Cosem et Sébastien Labrusse
Les nouveaux titres disponibles dans la collection contemporains de Recours au Poème éditeurs
Les Galets Goélands
Une anthologie choisie de la poésie de Michel Cosem
La page du livre
Extraits :
Premiers pas dans la ville avec les galets
qui hurlent comme des goélands
Le vent venu du large affine l’esprit
lisse la plage et les idées
glisse
dans le temps
transparent comme l’émotion.
Midi. Le vent est fort
l’océan vert
Les mouettes attendent immobiles la marée
Un gros corbeau noir laisse ses empreintes
dans la vase et vit comme un terrien
Une barque achève de couler
prise et penchée.
Qui donc parle de départ ?
Qui espère l’horizon ?
*
Le navire dans le silence
dans toute la nuit autour
oblige à croire à l’espace à la liberté
simple image de la beauté
entre les histoires aussi futiles que le sable
aussi incertaines qu’une vague
que la courbe d’une femme
que la fin d’une main
*
La nuit rôde
avant et après la faim
impalpable
tracée et artificielle
elle flaire le bas des murs
elle n’est pas buée légère
elle gronde sourdement comme un moteur d’avion
elle n’a pas perdu la mémoire
elle dévore l’absence
et elle est autre avec batailles et tambours
Elle est inconnue.
Journal Météorologique
de
Sébastien Labrusse
Extraits :
I. Jours d’hiver et de neige
L’équilibre de la neige
Parfois, à l’approche de l’hiver, on s’attend à ce qu’il neige : on parle « d’un ciel de neige » et le plus souvent les nuages qu’on croyait lourds de flocons se dispersent, ou crèvent lamentablement, et c’est la pluie. Un peu trop en dessous de zéro, à l’inverse, et c’est alors un temps clair, net, d’un froid piquant, délicieux ; une sécheresse d’hiver : on a encore manqué le temps de la neige !
Il faut décidément des contraires qui s’allient.
… On peut sans difficulté trouver la pluie délectable, l’aimer, et si on la hait, s’en faire une raison, la trouver utile par exemple ; mais tout le monde s’accorde à détester la pluie froide qui vous transperce les os, et surtout la neige fondue, qui est le pire temps.
Mais même elle on l’aimera cette horrible neige fondue. Ce sera un samedi matin de décembre, en marchant dans les petites rues encombrées, sans parapluie, après avoir bu dans un café un vin blanc sec et mangé une viande des Grisons. On l’aimera car ce matin-là, en attendant que le linge sèche dans une laverie, on aura ri aux éclats, on aura eu une conversation follement gaie, une conversation métaphysique…
Le creux de l’hiver
Quittant la ville par le train – la voie ferrée est surplombée par les grands immeubles meurtris – je vois très exactement ce qu’est le creux de l’hiver – le temps du deuil – sa désolation, oui, une solitude. C’est une sorte de vaste pièce d’eau terne, étang ou rivière immobile, ayant débordé de son lit, jusque vers des saules dont il ne reste que d’énormes troncs terriblement gris, comme les nuages si bas – un seul nuage en fait, qui accable tout le ciel, sans horizon. Quelques êtres – l’unique lumière peut-être – traversent ces étranges espaces, mais c’est comme des pierres.
Le gris.
Les branches des arbres, frêles, prises dans la brume, le froid, l’humide : quelle pauvreté ! Je pense à Baudelaire et aux quatre poèmes, Spleen, à ces vers :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; .…
« L’Espoir vaincu » ! Pourquoi donc le moindre soleil en hiver enchante-t-il si singulièrement ?
L’hiver le soir
Voici deux enfants qui se tiennent par la main et jouent dans la rue ; ils rient aux éclats, leur voix aiguë raisonne ; « pas si fort ! » leur crie-t-on d’un étage élevé.
Quelques fleurs au balcon. La clarté. Une façade, si lugubre soit-elle, soudain éclairée – un mur jaune comme les blés, puis, très vite en hiver, orangé et rose. Soudain la couleur ! Oui, il y aura eu, au travers de tant de gris, la respiration de la lumière, et, encore au début de janvier, la présence du ciel.
L’hiver aux alentours de Senlis
Sur un papier de hasard, en un lieu tout aussi hasardeux, je note le sentiment d’étonnement, la belle surprise qui se produisirent en moi lorsque à la fin janvier, marchant dans des bois, je vis courir sur la neige silencieuse qui tenait encore, dans la grisaille de midi, deux grands chevreuils, gracieux et rapides. Comme moi, ils s’étaient écartés des chemins très humains, et, fuyant à mon approche, ils faisaient craquer des feuilles gelées, la glace des flaques boueuses et les branches mortes de la forêt très claire. Je marquai un temps d’arrêt ; les suivis des yeux, ouvrant la bouche d’admiration ou presque de stupeur ; je cessai quasiment de respirer, et, très respectueux du silence, me tins immobile, inquiet de les voir s’approcher ainsi de la grand-route, si présente et tellement lointaine, où défilaient, aveugles, d’énormes camions ronflants.
Oui, j’étais ailleurs en ce début d’année, dans ces bois aux alentours de Senlis, quand passèrent ces deux chevreuils étranges et beaux, et je savais qu’il me faudrait reprendre le chemin des hommes et je savais que j’allais plus tard, à mon tour, rouler vite sur cette même route, menaçante, et traverser les banlieues du nord de Paris, jusqu’à Aubervilliers, en tâchant de capter la radio.
La neige au petit matin
Il aura neigé toute la nuit, doucement, après la pluie glacée, parfois la grêle, qui s’étaient abattues en rafales durant la journée. La neige du milieu de la nuit – une lumière – tient au sol et recouvre avec obstination la chaussée. Je vois, grâce à une brève insomnie, des traces de pas d’un marcheur ; partout ailleurs, encore vierge, la neige s’accumule.
C’est le matin, on y voit encore à peine, et déjà de jeunes enfants et leurs pères graves, et des cyclistes emmitouflés qui vont traverser la ville, sortent des immeubles ; sur les toits, silencieuse, la neige demeure.
Très vite, c’est le soir, la nuit tombe aussitôt. On raconte qu’un enfant, secoué par un grand rire, s’est engouffré – envolé ? – dans la neige tourbillonnante.
La page du livre
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